Résumé : Les sociétés d'insectes sont considérées comme des systèmes complexes, hautement organisés et efficaces. Leur symbolique dans la culture populaire renvoie une image d’animaux particulièrement actifs. Cependant, il existe des niveaux d’activité au sein de la colonie très variables avec des taux particulièrement faibles de l’ordre 20 à 30%. En outre, certaines ouvrières sont inactives et immobiles, et semblent n’être impliquées dans aucune tâche. À ce jour, notre connaissance de la valeur fonctionnelle associée à ces niveaux d’activité interne montre des lacunes importantes. L’objectif de cette thèse est de caractériser les fluctuations des niveaux d’activité interne à l’échelle coloniale et individuelle au sein des fourmilières de l’espèce Myrmica rubra et de mieux comprendre leur impact sur les comportements collectifs de récolte de nourriture et de migration vers un nouveau nid.Nous avons tout d’abord testé si les individus fortement inactifs se distinguent des autres groupes fonctionnels (i.e., fourrageuses, domestiques et nourrices) quant à leurs réponses à des stimuli environnementaux. Ces inactives ont montré des niveaux de réponse proches des nourrices et domestiques. Confrontées à des larves, les inactives sont les ouvrières les plus enclines à les transporter. Ceci suggère que leur inactivité n’est pas causée par un dysfonctionnement dans la perception des stimuli environnementaux ou par des seuils de réponse plus élevés que les autres fourmis internes. À l’échelle du groupe, nous avons caractérisé les variations d’activité interne et constaté l’existence de fluctuations non périodiques mais présentant un degré de synchronisation. Nous avons montré que le niveau moyen d’activité interne d’une colonie est stable sur plusieurs jours mais baisse suite à un affamement prolongé. Cette baisse d’activité combinée à une synchronisation accrue des ouvrières apparait comme une stratégie d’économie d’énergie en situation de jeûne. Nos résultats ont également révélé que les niveaux d’activité interne sont spécifiques à chaque colonie. Nous avons donc testé l’impact de ce trait colonial sur les réponses individuelles et collectives des fourmis lors de l’exploitation d’une source de nourriture. Dans ce contexte, un haut niveau d’activité interne ne va pas de pair avec une exploitation plus précoce ou rapide des ressources par la colonie. À l’échelle des individus, le d’activité interne n’influence pas l’investissement des recruteuses dans la mobilisation de leurs congénères, mais a un effet marginal positif sur la mobilisation des ouvrières stimulées par les recruteuses. Une approche similaire a été suivie dans le contexte du déménagement d’une colonie vers un nouveau nid. Quel que soit le niveau d’activité interne de la colonie, nous avons observé le même schéma d’ordre des événements, à savoir la découverte du nid, le recrutement de congénères suivi du transport des larves et du passage de la reine et enfin le transport de quelques adultes vers le nouveau nid. À nouveau, l’activité interne de la colonie n’est pas corrélée à sa vitesse de découverte du nouveau nid, ni à la durée du processus de migration. En outre, les ouvrières inactives en conditions normales, s’activent lors de la migration et contribuent aux transports autant que les domestiques. Les inactives s’illustrent ici par leur capacité à s’activer lorsque la charge de travail augmente et à constituer un groupe de réserve lors de la migration. En conclusion, notre étude montre que le niveau d’activité interne présente des phases de synchronisation et s’adapte aux besoins énergétiques de la colonie. L’inactivité importante de certains individus ne semble pas due à leur moindre sensibilité aux stimuli environnementaux. Ces inactives semblent jouer un rôle de réserve capables de se mobiliser, notamment en s’impliquant dans le transport de larves lors de la migration de la colonie. Enfin, nous avons montré que le niveau d’activité interne est un trait spécifique à chaque colonie qui, toutefois, n’a qu’un effet marginal sur les dynamiques des réponses collectives de l’exploitation des ressources ou de la migration vers un nouveau nid. Cette thèse élargit notre compréhension des fluctuations de l’activité des ouvrières au sein de la fourmilière et propose des pistes quant à la valeur fonctionnelle associée à ces niveaux d’activité au sein de la colonie.