par Vranken, Apolline
Référence Ateliers de femmes, femme en ateliers (XIX-XXe siècles) (5 mai 2023: Université Libre de Bruxelles, Bruxelles)
Publication Non publié, 2023-05-05
Communication à un colloque
Résumé : Dès 1929, les femmes s’inscrivent enfin et pour la première fois dans la section architecture de l’Institut Supérieur des Arts Décoratifs de La Cambre à Bruxelles dans un contexte pédagogique élargi de mixité encouragé par la multidisciplinarité des ateliers. Simone Guillissen-Hoa (1916-1996) y entame son cursus en 1935. Quatrième architecte femme diplômée de l’ISAD, Guillissen-Hoa débute sa carrière pendant les premières années de la seconde guerre mondiale dans un contexte économique de pénurie de commandes ainsi que dans un système de binarisation des genres et de hiérarchisation entre arts décoratifs et architecture, praticiennes et praticiens - mécanismes dont l’architecte sinopolonaise a activement conscience.En 1964, l’architecte Odette Filippone s’exprime dans les pages de Femmes d’Aujourd’hui : « Nous sommes environ 45 femmes architectes diplômées en Belgique. Rares sont celles qui, après leur mariage et surtout après la naissance de leurs enfants, continuent d’exercer leur profession. Je ne connais qu'une seule femme architecte de grande classe, qui mène en chef son propre bureau. » (Kelenn, 1964). Cette architecte, c’est Simone Guillissen-Hoa.En 2018, la 3e Brussels Biennale of Modern Architecture: Architects’ Houses proposait de découvrir 16 maisons d’architectes (BBMA, 2018). Parmi la sélection figure une seule réalisation d’une architecte femme : l’appartement-atelier de Simone Guillissen-Hoa conçu par elle à Uccle en 1965.Le programme hybride de l’appartement-atelier subvertit la division sexuée spatiale et les frontières programmatiques entre privé et public, domesticité et publicité, travail productif et travail reproductif. En effet, alors que l’articulation logement-atelier permet aux homologues masculins de Guillissen-Hoa de ramener le travail rémunéré à la maison, le principe adopté par SGH opère un changement significatif pour les femmes habituellement assignées au travail gratuit à et de la maison en implantant la sphère publique dans le domestique.Cette inversion/subversion des territoires de genre est également portée par la conception spatiale de l’appartement-terrasse ucclois : c’est ce point qui retiendra plus particulièrement notre attention. Contrastant avec le logement unifamilial bruxellois bourgeois traditionnel, l'aménagement du lieu amplifie l’hybridité spatiale entre privé et public et questionne, dans un même mouvement, l’opposition entre arts dits majeurs et mineurs. L’analyse des des murs-rideaux, caractéristiques du mouvement moderne, qui bordent le plan circulaire et fluide du penthouse permet de comprendre tout à la fois le décloisonnement des corps et des corps de métiers : « En brisant la séparation stricte entre le dedans et le dehors avec le développement du mur-rideau, ils (ndlr : les architectes modernistes) ont détruit les frontières entre architecture et décoration intérieure. » (Sanders 2020, 68) Le plan est libre et les différents espaces s’entrelacent, formant des zones spongieuses annulant aussi l’hiatus entrefonctions in (care bénévole) et out (travail rémunérateur). Les éléments conceptuels pensés par Simone Guillissen-Hoa en dessinant les meubles de son appartement-atelier visent aussi à renforcer la nouvelle porosité tant physique entre les espaces que symbolique entre les disciplines. Ainsi, l’architecte, à l’instar d’autres de ses contemporain·e·s, déstabilise le système de hiérarchie associé à un principe clair de division sexuée entre décorateur·rice·s-ensemblier·ère·s et architectes (Koering 2018, 118). Dès lors, « l’architecture sera appréhendée comme un continuum de pratiques diverses » (Sanders 2020, 74).Ainsi, par analogie au trouble dans le genre (Butler, 1990), nous explorerons, par les choix opérés par Simone Guillissen-Hoa d’un programme articulant atelier-logement et son architecture porteuse d’ambiguïtés qui déstabilisent l’ordre établi, le concept de trouble dans l’espace.