Résumé : IntroductionLa drépanocytose est la pathologie génétique la plus fréquente au monde touchant plus de 50 millions de personnes dont 38 millions en Afrique subsaharienne. C’est une maladie chronique génétique à transmission autosomique récessive liée à une anomalie structurale et qualitative de l’hémoglobine. Au Cameroun, 4000 enfants naissent drépanocytaires chaque année. Toutes les tranches d’âges sont touchées et les jeunes de 10 à 29 ans représentent 89,2% des malades. L’espérance de vie pour un drépanocytaire est de 25 ans. Ces patients sont plus susceptibles de subir une intervention chirurgicale au cours de leur vie que la population générale en raison de la nature des complications de cette maladie. La procédure anesthésique nécessite plusieurs impératifs notamment la prévention de tous les facteurs de risque de falciformation afin de limiter les risques de complication postopératoire. Le patient drépanocytaire peut également présenter différentes réponses pharmacologiques aux anesthésiques en l’occurrence aux curares, dues à plusieurs altérations pathologiques, y compris les anomalies de la microcirculation, l’anémie chronique, ou une insuffisance rénale progressive.MéthodologieDes études de type transversal descriptif (enquêtes à l’aide de questionnaire) et de type prospectif descriptif et observationnel (comparaison à un groupe témoin) ont été réalisées. Nos travaux se sont déroulés au Cameroun et pour la plupart du temps dans les villes de Douala et Yaoundé mais aussi dans les principales villes des huit autres régions du pays. Les blocs opératoires de quelques hôpitaux de référence des différentes villes ont servi de lieu de collecte de la plupart de nos données : conduite de l’anesthésie avec monitorage de la curarisation, surveillance postopératoire, identification des complications postopératoires et recherche des facteurs favorisants lesdites complications.RésultatsL’enquête a montré que sur 35 médecins anesthésistes inclus dans l'étude, 29 (82,9 %) avaient pris en charge des malades pour des procédures chirurgicales d'urgence et électives. La plupart d'entre eux 27 (77,1%) n'avaient jamais demandé de consultation d'hématologie avant une intervention chirurgicale. Seuls 6 (17,1%) anesthésistes disposaient d'un protocole rédigé pour la prise en charge préopératoire des drépanocytaires dans les hôpitaux où ils exerçaient. Au total, 124 patients atteints de drépanocytose ont été recrutés de manière prospective ; 64 étaient des hommes et 60 des femmes, soit un sex-ratio de 0,93. Le taux de complications postopératoires était de 23,4 % (29/124) et le taux de décès de 3,2 % (4/124). Les sujets féminins ont eu plus de complications que les sujets masculins p < 0,05. Le nombre de crises vaso-occlusives subies par an, a montré un impact significatif sur la survenue des complications postopératoires p < 0,05. La chirurgie laparoscopique a eu moins de complications postopératoires 5/46 (10,9%) que la laparotomie 14/43 (32,5%). La technique chirurgicale pour les procédures abdominales a eu un impact significatif sur la survenue de complications post-opératoires p < 0,05. Le type de chirurgie (p = 0,198) et la technique d'anesthésie (p = 0,225) n'ont pas montré d'impact significatif sur la survenue de complications postopératoires.Le délai d'action du rocuronium était plus long chez les patients drépanocytaires [moyenne ± écart-type (minimum-maximum)], [6,3±2,1 (1,8-10) min] que dans le groupe témoin [2,5±0,6 (1,4-3,5) min] (P < 0,01). La durée d’action clinique était plus courte chez les patients drépanocytaires [19,2±7,1 (13-41) min] par rapport au groupe témoin [28,9±6,9 (21-48) min] (P < 0,01). Le délai avant la première réinjection était plus court dans le groupe de patients drépanocytaires [27,7±7,9 (19-49) min] que dans le groupe témoin [39,9±8,7 (30-56) min] (P < 0,01).ConclusionL’anesthésie du patient drépanocytaire au Cameroun fait face à des challenges tels que le nombre réduit de médecins anesthésistes, la non harmonisation des pratiques et la faible implication des hématologues et autres spécialistes de cette maladie dans la préparation de ces patients à la chirurgie. Bien que les pratiques courantes sont différentes de celles des milieux à ressources élevées, l'incidence des complications postopératoires et les complications rencontrées ne sont pas significativement différentes. Une susceptibilité aux complications postopératoires y est particulièrement notée chez les femmes drépanocytaires ainsi que chez ceux présentant plus fréquemment des crises vaso-occlusives. L’utilisation du monitorage de la curarisation dès l’induction anesthésique a permis de constater un délai d’action plus long du rocuronium chez ces patients comparé à celui observé dans la population générale. L’enseignement, l’éducation et des protocoles facilement applicables dans ce contexte spécifique, associant entre autres une meilleure prise en charge de la drépanocytose en dehors des phases aiguës, le choix de la laparoscopie dans la mesure du possible lors des chirurgies abdominales et l’utilisation systématique du monitorage du bloc neuromusculaire lors de l’usage des curares permettraient d’améliorer la morbidité et la mortalité postopératoires chez les patients drépanocytaires.