Résumé : Prenant pour cas d’étude le processus décisionnel ayant abouti en 2019 à l’adoption de la directive européenne « Droit d’auteur dans le marché unique numérique », la thèse cherche à comprendre et expliquer la déviation d’une politique publique européenne d’une trajectoire libérale vers celle de la régulation. Analysé au prisme de la sociologie de l’action publique, le droit d’auteur y est défini comme un instrument d’action publique au sens de Lascoume et Le Galès (2005). Le cadre analytique repose ensuite sur l’articulation de trois concepts clés : le champ eurocratique, le travail politique et les espace-temps de l’action publique. La thèse répond alors à la question de recherche suivante : comment et pourquoi le travail politique des agent·es, déployé dans les différents espace-temps du champ eurocratique, a-t-il aboutit à l’adoption du droit d’auteur comme instrument de régulation du marché unique numérique ? Le dispositif méthodologique combine une enquête par entretiens auprès des agent·es ayant pris part au processus décisionnel étudié (n=79) et une fouille de documents divers relatifs au dossier du droit d’auteur européen, et datant majoritairement d’une période courant de 2004 à 2019, c’est-à-dire des premières réflexions sur une nouvelle réglementation du droit d’auteur à l’adoption de la directive finale (n=161).L’analyse des données ainsi collectées montre que la directive droit d’auteur dans le marché unique numérique a dévié de la trajectoire libérale qu’elle avait pourtant entamée dans les années 2000 parce qu’un ensemble d’agent·es défendant une position pro-régulation a d’abord émergé dans l’espace-temps de la Commission, puis s’est maintenu au fil des différents espace-temps de la prise de décision (Conseil de l’UE, Parlement, Trilogues). Deux grandes options existaient ainsi pour réglementer le droit d’auteur numérique : la libéralisation et la régulation. L’option de la libéralisation se traduit concrètement par l’expansion du champ des exceptions au droit d’auteur en ligne – c’est-à-dire tous les cas où le droit d’auteur ne s’applique pas. L’option de la régulation signifie à l’inverse la mise en place de mécanismes juridiques qui permettent de soumettre l’environnement numérique au respect du droit d’auteur. La politique européenne du droit d’auteur numérique a ainsi été le terrain d’une lutte opposant des agent·es en faveur de la régulation du marché unique numérique à des agent·es préférant sa libéralisation. Ces deux visions divergentes de la construction du marché européen se retrouvent dans le texte final à travers deux volets. Le premier, intitulé « marché unique numérique », correspond à l’option libéralisation et prévoit trois exceptions obligatoires au droit d’auteur. Le second, intitulé « marché unique des droits d’auteur », correspond à l’option régulation. Il créé principalement deux nouveaux mécanismes juridiques qui renforcent le droit d’auteur : une responsabilité des plateformes vis-à-vis du contenu hébergé (article 17 anciennement 13) et un droit voisin des éditeurs de presse (article 15 anciennement 11). Ainsi, alors que les outils de la libéralisation sont à l’agenda de la Commission depuis le début des années 2000, ceux de la régulation ont émergé à partir de 2014. Le principal argument de cette thèse est que cette inclusion d’un volet « marché unique des droits d’auteur » est le fruit du travail politique des agent·es de ce que l’analyse a permis d’identifier comme un pôle régulation. La démonstration est développée au fil six chapitres, suivant une logique analytique en termes d’espace-temps de l’action publique européenne. Les trois premiers chapitres sont consacrés à la préparation de la proposition de directive de la Commission de 2004 à 2016, soit un espace-temps étendu dans le temps et concentré dans l’espace. Les trois espace-temps de la préparation du mandat du Parlement européen, du Conseil de l’UE, et de la négociation interinstitutionnelle font ensuite chacun l’objet d’un chapitre.