Résumé : Face aux guerres dans lesquelles nos pays d’Europe sont impliqués, nos affects oscillent en permanence entre l’anesthésie et la frénésie. Certaines situations guerrières donnent lieu à un échauffement affectif, un « regain » d’énergies psychiques et sociales, des opérations de mobilisation en chaine. Tandis que d’autres sont à peine nommées, sont reléguées au loin : la guerre a lieu ailleurs – « doit » avoir lieu ailleurs. La thèse fait de cette relation bifide à la guerre le point de départ d’une enquête philosophique sur la modernité occidentale. Elle en dresse le tableau à travers deux traits insistants : d’une part, l’attirance que les modernes ont cultivée pour l’expérience de guerre – liée à une quête de revitalisation, de devenirs-incandescents. D’autre part l’invention, dans le sillage des guerres impérialistes, de relations à la guerre qui passent par des effacements actifs, par la mise à distance des effets de la violence – une pratique de la froideur. L’histoire des modernes en guerre est une histoire faite de passions conquérantes et de dépossessions terribles, de désirs contradictoires, de rêves qui ne sont pas sans beauté mais qui enfantent et alimentent des machines de mort. Les modernes soufflent le chaud et le froid : ils multiplient les dispositifs qui les mettent à distance de leur violence – et ont peur d’être privés d’aventure. Ils font jouer l’intensité d’une vie vécue dans la guerre contre la pauvreté de l’expérience de la paix – et sont en même temps experts dans l’art d’armer leur paix. Ils traversent des convulsions historiques qui alimentent leurs enthousiasmes guerriers – et qui les font s’effondrer tout à la fois. Ils rêvent de paix et de progrès – et accumulent en même temps les ruines derrière et autour d’eux. La thèse hérite d'une série d'auteurs du XXe siècle qui ont pensé la modernité à partir de ses matérialités, des expériences qui en sont faites et des désirs qui la traversent (Walter Benjamin, Simone Weil, W.G. Sebald, Klaus Theweleit, Marshall Berman, Susan Sontag…). En puisant dans des matériaux multiples (textes philosophiques et littéraires, chroniques, films, images…) elle retrace la manière dont une série de gestes guerriers se sont noués aux crises de la modernité.