Résumé : Ce manuscrit s'inscrit dans le cadre du développement d'un micro-cristallisoir tubulaire continu dédié aux petites molécules pharmaceutiques. Ce dispositif profite de la petite dimension des tubes microfluidiques (1 mm de diamètre interne) pour permettre un taux de refroidissement pouvant atteindre la dizaine de degré par seconde. Cette caractéristique lui permet de générer une sursaturation suffisante pour que la nucléation spontanée ne soit plus désavantageuse telle que dans les procédés "classiques" de type cuves agitées. Durant le développement du procédé, il a été remarqué que l'ajout de courtes constrictions de diamètre (1 mm de long pour 500 ou 250 µm de diamètre interne) les unes à la suite des autres en amont du refroidissement pouvait fortement modifier le taux de nucléation. Puisque le liquide n'était pas en condition sursaturée à cet endroit du dispositif, nous avons conclu que la modification du taux de nucléation était vraisemblablement due à la génération de structures d'écoulement (recirculations, vortex). Éventuellement et sous certaines conditions, ces structures pourraient être convectées vers des zones froides favorables à la nucléation. C'est donc dans l'objectif d'analyser ce phénomène que cette thèse est rédigée. La première partie de ce travail s'est concentrée sur la reproduction des mêmes expériences avec d'autres molécules (aspirine et glycine) que celle utilisée initialement (brivaracetam). Les résultats démontrèrent que l'ajout de constrictions pouvait également influencer le taux de nucléation de ces deux nouvelles molécules. Plus encore, ils nous indiquèrent que l'influence dépend du couple solvant/soluté. Dans le cas du brivaracetam, nous avions obtenu une croissance du taux de nucléation puis l'obtention d'un plateau avec le nombre de croissant de constrictions. Dans le cas de la glycine, le taux de nucléation diminuait linéairement avec le nombre de constrictions. Et finalement, dans le cas de l'aspirine le taux de nucléation se comportait différemment si la concentration de la solution changeait mais également si le diamètre interne des constrictions changeait. Afin de répondre en partie à ces observations, nous avons alors étudié numériquement et expérimentalement le refroidissement subit par la solution au sein du cristallisoir. Particulièrement, nous voulions identifier si l'ajout de constrictions de diamètre pouvait influencer le refroidissement global de la solution. Les résultats expérimentaux ont alors démontré que l'ajout successif de constrictions de diamètre n'influençait pas le taux de refroidissement. D'un autre côté, ceci nous permit également de mettre au point un modèle numérique permettant d'évaluer les performances techniques du cristallisoir. Les ajouts de constrictions n'influençant pas le refroidissement de la solution, nous nous sommes alors concentrés sur l'analyse de l'écoulement. En effet, la littérature regorge de recherches étudiant l'influence d'une expansion brusque de diamètre sur l'apparition de zones de recirculation. Il est ainsi bien connu que l'augmentation du nombre de Reynolds (Re) au-delà d'une certaine valeur critique (Re_c) induit une rupture de la symétrie de l'écoulement dans l'expansion (bifurcation Pitchfork). Cependant, dans le cas qui nous intéresse, l'expansion de diamètre est précédée par une très courte distance (1 mm) de diamètre réduit (500 ou 250 µm), elle-même précédée par une réduction du diamètre. Il est connu qu'une telle réduction de diamètre induit une modification du profil de vitesse au sein de la partie de diamètre réduit. Dans l'idée d'identifier le type d'écoulement rencontré dans notre cristallisoir, nous nous sommes donc concentré sur l'analyse numérique de l'influence que peuvent avoir le profil de vitesse et le diamètre interne de la constriction sur la stabilité de l'écoulement. Les résultats démontrent que l'utilisation d'un écoulement piston (Plug) à l'entrée de l'expansion donne un Re_c plus élevé que tout autre profil mais également que les zones de recirculation développées dans l'expansion sont plus courtes qu'avec tout autre profil de vitesse. Nous avons démontré que ces résultats peuvent être facilement rationalisés sur base d'arguments de convection-diffusion. Malgré que ces analyses aient été réalisées en 2D, nous estimons que cet effet devrait être qualitativement le même pour un écoulement tubulaire. Ainsi, ces résultats nous informent qu'au plus la constriction est courte au plus l'apparition d'instabilité (linéaire) arriverait à haut Re. Cette analyse devra indubitablement être approfondie dans le cadre de recherches futures, particulièrement parce que les résultats expérimentaux étaient également soumis à des perturbations d'amplitude finie (p.e. : bruit de la pompe ou du pousse-seringue). Et que celles-ci sont connues pour favoriser l'apparition de structures complexes d'écoulement et sont également suspectée d'être amplifiées lors de l'ajout de telles constrictions de diamètre. Finalement, le dernier point abordé, fut d'identifier quelles propriétés de l'écoulement influencent le taux de nucléation. Dans la littérature et sur base d'expérience, il est couramment fait mention de l'influence de l'agitation sur le taux de nucléation. Du point de vue théorique, la recherche s'axe principalement sur l'influence du taux de cisaillement sur le taux de nucléation. Il est en effet suspecté que celui-ci permette une augmentation du transfert de matière ce qui augmenterait la cinétique de réaction. Cependant, il est aussi suspecté qu'en créant une élongation des nucléus, le cisaillement accroisse l'énergie barrière. Sur base de ces deux effets compétitifs, il est donc estimé qu'un maximum de nucléation existe, ce qui a d'ailleurs déjà été identifié pour de larges molécules ou pour des colloïdes. Dans un cristallisoir tubulaire tel que le notre, il est également possible de supposer que la nucléation a lieu proche de la paroi puisque c'est à travers elle que s'établit le refroidissement. Dans un écoulement développé, il est connu que les objets en suspension tendent à migrer vers une position d'équilibre située à une certaine distance de la paroi. Puisque nous supposons que les constrictions génèrent des structures complexes d'écoulement, nous pourrions émettre l'hypothèse que celles-ci perturbent la migration ce qui pourrait in-fine induire une modification du taux de nucléation. De manière identique, ces structures apportent un supplément de cisaillement ce qui pourrait également être la cause de la modification du taux de nucléation observée expérimentalement avec l'ajout de constrictions. De ce fait, le dernier point analysé au cours de ce manuscrit est la décorrélation de l'influence du taux de cisaillement de l'influence de la migration inertielle en faisant varier le diamètre interne du micro-cristallisoir et le débit utilisé. Expérimentalement, les résultats indiquèrent qu'un maximum du taux de nucléation était obtenu. Malheureusement, à cause de contraintes techniques, il ne fut pas possible de décorréler les effets du taux de cisaillement de celui de la migration. Ainsi, afin d'interpréter les résultats expérimentaux, nous avons également analysé théoriquement l'influence du taux de cisaillement sur le taux de nucléation en tenant compte de la modification du transfert de masse et de la déformation du noyau. Les résultats théoriques suggèrent qu'un tel comportement non-monotone ne peut être rationalisé en considérant l'agrégation moléculaire, c'est-à-dire en considérant les molécules comme cristallisant suivant la théorie classique de la nucléation (CNT). Fort heureusement, la molécule utilisée comme modèle (glycine) est connue pour former des précurseurs à la nucléation prenant la forme de clusters, c'est-à-dire qu'elle ne nuclée pas suivant la théorie classique de nucléation (CNT). En analysant théoriquement l'agrégation de telles clusters sous l'effet du cisaillement nous avons ainsi réussi à reproduire le comportement non-monotone expérimentalement observé. Ceci suggère que l'ajout de constrictions successives en amont du refroidissement favorise, probablement par apport de cisaillement, l'agrégation des clusters. Celles-ci seraient alors convectées vers l'aval du cristallisoir vers des températures auxquelles la cristallisation prend place.