par D'Aloia, Stefano
Référence Revue de la Faculté de droit de l'Université de Liège, 2022, 3, page (499-524)
Publication Publié, 2022-12-01
Référence Revue de la Faculté de droit de l'Université de Liège, 2022, 3, page (499-524)
Publication Publié, 2022-12-01
Article révisé par les pairs
Résumé : | Il existe des frontières (quasi-)étatiques qu’on peut qualifier d’illicites, c’est-à-dire des délimitations qui factuellement établissent des frontières entre deux entités distinctes, mais qui juridiquement ne peuvent pas être reconnues. C’est le cas, par exemple, des délimitations de la « République d’Artsakh », au sein de l’Azerbaïdjan ; de la Crimée et des « Républiques populaires » de Donetsk et de Lougansk, au sein de l’Ukraine ; ou encore, de la « République turque de Chypre du Nord », sur l’île de Chypre. C’est parce que ces entités sont nées en violation grave d’une norme impérative de droit international, comme l’interdiction du recours à la force, que tous les États ont une obligation de non-reconnaissance à leur égard. Celle-ci agit à la fois comme une sanction collective décentralisée, et comme un mécanisme de prévention du fait accompli, empêchant une situation contraire au droit international de se consolider juridiquement : ex injuria jus non oritur. Cette obligation de non-reconnaissance implique que les effets juridiques des actes et documents émis par l’entité illicite ne peuvent pas être reconnus : constitution, lois, nominations d’ambassadeur, décisions de justice, etc. Toutefois, une exception est admise : d’après la Cour internationale de justice, on peut reconnaître des effets juridiques aux actes dont la méconnaissance ne se ferait qu’au détriment des habitants du territoire en question. Ainsi des actes comme l’inscription des naissances ou des mariages à l’état civil peuvent être juridiquement reconnus, sans violer l’obligation de non-reconnaissance. On explique généralement cette exception comme une nécessité pour garantir le respect des droits humains des populations locales.La récente épidémie de Covid-19 a été l’occasion de voir apparaître un nouveau – l’est-il vraiment ? – document officiel : le certificat de vaccination Covid-19. C’est là l’occasion d’analyser la manière dont les États ont appréhendé ces certificats délivrés par des entités illicites, et de questionner l’argumentaire du respect des droits humains des populations locales qui peut être avancé. En effet, si certains États ont privilégié une approche pragmatique – la Moldavie échangeant les certificats de vaccination délivrés par la « République moldave de Transnistrie » contre des certificats moldaves – d’autres ont tout simplement accepté que leurs frontières soient franchies à l’aide d’un tel certificat – c’est le cas du Royaume-Uni pour les certificats émis par la « République turque de Chypre du Nord ». Dans une approche technique, on peut comparer ces documents à des « passeports » ou à des « certificats de conformité ». On ne trouve alors pas dans le droit international positif de fondement juridique convainquant pour défendre la licéité de leur reconnaissance. Une approche critique permet d’y voir plus clair. Loin d’avoir été motivées par le souci de la sauvegarde des droits fondamentaux des habitants d’un territoire occupé en violation du droit international, les considérations des autorités du Royaume-Uni répondent à des besoins plus terre-à-terre, comme la possibilité pour certains ressortissants britanniques de passer leurs vacances de Noël sur Albion… |