par Balty, Cécile
Référence Comment analyser les médias à l'ère du numérique ? - DIFEM 2022 (2022-09-12 - 2022-09-15: Université Paris-Panthéon-Assas (Paris, France))
Publication Non publié, 2022-09-13
Communication à un colloque
Résumé : Les mots, leur choix, leur(s) définition(s) et reconfiguration(s) en discours sont autant d’observatoires non seulement des positionnements et perceptions de ces acteurs par rapport à la migration (et, par conséquent, les uns par rapport aux autres), mais aussi de la manière dont, par le langage, ils tentent de changer les perceptions de la société. C’est à ces pratiques discursives que la présente recherche s’intéresse : comment ces acteurs militants - migrants, associatifs et citoyens en particulier - de la « cause des migrants » en Belgique et à Bruxelles tentent-ils de changer les perceptions de la migration à l’aide des mots ? Et inversement : comment changent-ils les mots de la migration selon leur perception de la réalité ? Cette approche allie l’analyse de discours d’un corpus numérique (corpus 1), composé des productions des acteurs sur deux médias (Facebook, sites web officiel), à des entretiens semi directifs (corpus 2). Alors que le premier corpus permet l’analyse des traces de la réflexivité des acteurs au sein de leur discours, le second corpus permet d’interroger leur rapport au langage et d’objectiver la place de cette réflexivité au sein de leur stratégie de communication, en amont de la rédaction de leur communication officielle. Les six acteurs qui composent le corpus appartiennent aux deux communautés linguistiques principales en Belgique (francophone et néerlandophone) et présentent différents degrés d’institutionnalisation (de l’association dite « institutionnalisée » aux initiatives citoyennes et collectifs sans-papiers). Ceux-ci ont été choisis en raison de leur centralité dans le réseau des acteurs de la cause des migrants en Belgique. Ce réseau, analysé dans le cadre d’un travail collaboratif (Balty & Leroux, 2021), rassemble toutes les pages Facebook d’acteurs belges du secteur des migrations dont la section « A propos » mentionne une dénomination de personne en migration (réfugié, migrant, sans-papier, immigré, etc.). Jouant le jeu des contraintes techno-commerciales de la plateforme, ces acteurs se likent, se partagent et se taguent afin de maximiser la visibilité de leurs contenus (Poell & van Dijck, 205, Kaun & Uldam, 2019), articulant leurs luttes respectives dans un espace d’interdépendances complexes. L’analyse de ces interactions permises (afforded) par la plateforme permet alors d’identifier les différentes communautés de partage qui structurent ce réseau, donnant à voir les logiques d’alliances entre ces acteurs (Barats, 2016). La période couverte (de 2009 à 2022) est marquée par différents événements sociopolitiques et institutionnels importants concernant les migrations, de l’institutionnalisation des matières migratoires en Belgique (2011) à la crise des réfugiés et la mobilisation inédite de la société civile à leur égard (2015), ou plus récemment la grève de la faim des sans-papiers (2021). Le corpus médiatique (corpus 1) rassemble ainsi 9 092 publications Facebook (de 2014 à 2018, 601 549 mots) et 2 080 pages web (de 2009 à 2022, 4 298 075 mots) des six acteurs choisis. Ce corpus massif pose plusieurs défis. Il s’agit non seulement d’étudier ces données de manière quantitative et qualitative afin d’analyser la construction du sens en discours, mais également de comparer ces usages dans deux langues différentes (le néerlandais et le français). Pour ce faire, le corpus est analysé à l’aide du logiciel de textométrie TXM1. Cet outil contrastif et longitudinal (Née éd., 2017, p. 183) permet de comparer les différents sous-corpus des acteurs en fonction de la période. Parce qu’il ne permet pas de comparer directement les deux langues, les corpus francophone et néerlandophone sont traités de manière indépendante et ensuite comparés manuellement (Hermand, 2015). Différentes fonctionnalités du logiciel (fréquence, co-occurrence) permettent d’approcher la construction de sens des entrées lexicales (« mots-pivot ») de manière statistique, en repérant notamment les associations lexicales récurrentes qui participent à reconfigurer le sens en discours, tout en recontextualisant chaque occurrence dans son cotexte (concordance) afin de ne rien perdre de son actualisation en discours. Cette analyse textométrique se concentre sur un observable linguistique – les dénominations de personnes, qui sont porteuses d’enjeux socio-discursifs complexes dans le cadre des migrations. Elles catégorisent les personnes auxquelles elles réfèrent selon une série de représentations charriées par leur domaine d’utilisation (langage juridique, administratif, courant) et leurs usages au cours de l’histoire (Calabrese, 2018). L’analyse s’attèle à identifier les différentes dénominations utilisées par les acteurs du corpus pour désigner les personnes en migration et à décrire le sens de ces dénominations qu’ils construisent en discours. Ces opérations de réglage du sens sont approchées comme autant de traces de la réflexivité politique et langagière des acteurs qui, dans leur communication numérique, tentent d’influencer les perceptions des personnes en migration et les mesures prises à leur égard. Cette analyse est finalement complétée d’entretiens semi-directifs avec un chargé de communication ou porte-parole de chaque acteur (corpus 2) afin d’analyser la manière dont ces productions ont été pensées en amont et d’objectiver le rapport au langage des différents acteurs. Dans cet exposé, je présenterai plus en détails la méthodologie adoptée pour analyser la communication persuasive des acteurs militants sur Facebook et sur leur site internet respectif ainsi que les enjeux et défis que pose l’analyse de tels corpus.