Résumé : Ce travail de doctorat explore les pratiques d’information à l’œuvre dans les centres d’accueil en Belgique et la relation de communication qui lie les demandeurs d’asile à l’instance chargée de les accueillir, Fedasil, entre 2014 et 2019.Depuis le début de la crise de l’accueil de 2015, l’arrivée de demandeurs d’asile sur le sol européen occupe une place prépondérante tant dans les discours politiques, médiatiques, institutionnels qu’au sein de l’opinion publique. Jusqu’à présent, dans le champ des sciences de l’information et de la communication, les recherches se consacrent majoritairement à l’analyse de la représentation des migrants et des demandeurs d’asile à travers ces différents discours : que dit-on à propos des demandeurs d’asile ? À l’inverse, peu d’études s’intéressent spécifiquement aux discours à destination des demandeurs d’asile eux-mêmes : que dit-on aux demandeurs d’asile ? ; qui le dit ? ; pourquoi, comment et dans quel contexte le dit-on ? À partir de ces questions, la thèse interroge le rôle crucial que jouent l’information et la communication dans le cadre de l’introduction d’une demande de protection internationale en Belgique pendant la phase d’accueil des demandeurs d’asile. En effet, les pratiques d’information et de communication ont une influence directe sur l’exercice effectif du droit d’asile. Disposer d’informations fiables, à jour, pratiques et vulgarisées est d’autant plus essentiel dans un contexte où le demandeur vit une importante « précarité informationnelle » (Wall et al., 2017) caractérisée par la méconnaissance des langues du pays d’accueil, le manque de familiarité avec le fonctionnement des institutions, la défaillance du réseau social et les conditions d’instabilité pour accéder à des informations. Pendant la période d’accueil, la précarité informationnelle rend les demandeurs d’asile particulièrement vulnérables à la désinformation, aux stéréotypes et aux rumeurs et contribue à affecter leur capital économique et social. Que dit-on aux demandeurs d’asile ? Pour répondre à cette question de recherche, l’argumentation de la thèse se structure en trois parties. Afin d’étudier les pratiques d’information et les formes plurielles de communication à l’œuvre dans l’univers de l’accueil, j’ancre celles-ci dans l’espace et dans le temps en étudiant la multiplicité des dimensions que recouvre l’accueil en Belgique aujourd’hui (partie 1). Je défends que la législation sur l’accueil est à la fois le fruit du contexte qui l’a forgée et qu’elle renvoie à des réalités complexes dans lesquelles une multitude d’acteurs interviennent. À partir d’une approche diachronique, je montre en effet comment les fondements juridiques et philosophiques sur lesquels repose l’accueil sont traversés par des tensions historiques qui ont jalonné l’histoire de l’institutionnalisation de la politique d’accueil en Belgique. Ensuite, par l’analyse du processus d’« évènementialisation » de la crise de l’accueil de 2015, je dévoile comment les controverses et les luttes qui sillonnent l’univers de l’accueil ont contribué à faire de cet évènement le thème dominant des agendas politiques, sociaux et médiatiques belges et européens. En replaçant la politique d’accueil dans ses multiples contextes, je montre finalement que cette législation est aujourd’hui le résultat d’un compromis entre la vision institutionnelle bureaucratique et néolibérale de Fedasil, les orientations politiques restrictives du secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration chargé de ces matières, et la conception universelle des droits de l’homme contenue dans les textes internationaux.Après avoir présenté le modèle d’accueil, son mode de gouvernance, sa genèse et ses évolutions récentes, j’étudie la communication institutionnelle destinée aux demandeurs d’asile (partie 2). Quels sont les médias destinés aux demandeurs d’asile ? Qui est donc le demandeur d’asile idéal pour Fedasil ? Pour reconstruire l’image du demandeur d’asile telle qu’elle ressort des textes qui lui sont dédiés, les médias conçus par Fedasil sont abordés sous l’angle du « lecteur modèle » en croisant divers outils issus de la linguistique de corpus, de la sémiotique interprétative et de la narratologie. J’étudie donc les contenus et les thèmes dominants de ces médias, mais également les modalités concrètes et contextuelles de production, de circulation et d’usage de ces derniers. Comment ces médias sont-ils produits ? Comment ces médias circulent-ils ? Comment sont-ils utilisés ? L’analyse de la communication institutionnelle portant sur l’accompagnement, l’accueil et l’asile fait émerger plusieurs points critiques et une inadéquation globale par rapport aux usages et besoins réels des demandeurs d’asile. Une part importante des médias s’adressent, en réalité, aux personnes qui accompagnent les demandeurs d’asile dans leurs démarches, les travailleurs de l’accueil. À côté de cette défaillance en matière d’information, Fedasil ou son secrétaire d’État de tutelle mènent des campagnes de communication importantes pour encourager le retour « volontaire » et dissuader les demandeurs d’asile de poursuivre leur procédure d’asile. Certaines d’entre elles ciblent des nationalités spécifiques, d’autres s’adressent à l’ensemble des demandeurs d’asile. Aux côtés des demandeurs d’asile, les conseillers au retour sont également le public cible de ces campagnes. Enfin, j’ai dépassé l’analyse des médias institutionnels en plongeant au cœur des centres d’accueil pour étudier les pratiques de communication plus informelles qui lient demandeur d’asile et travailleur de l’accueil (partie 3). À partir d’une enquête de terrain dans cinq lieux d’accueil et d’entretiens avec les différents acteurs de ce champ, je montre que ces lieux sont traversés par les mêmes tensions qui caractérisent le droit d’asile et l’accueil. La vie dans les centres est en effet conditionnée par la temporalité et le déroulé de la procédure d’asile, les orientations politiques restrictives ainsi que par le mode d’organisation totalisant du centre d’accueil et, dans le contexte de la Nouvelle Gestion Publique, la tendance croissante à la professionnalisation et à la bureaucratisation de Fedasil. Je dévoile la manière dont ce processus administratif complexe et suspicieux agit sur l’expérience d’asile et peut détériorer la santé mentale des demandeurs de protection internationale. Les pratiques quotidiennes dans ces centres se distancent alors de l’essence de ces lieux : accueillir dignement et accompagner le demandeur d’asile pendant sa procédure. Les travailleurs de l’accueil sont dans cet univers constamment soumis à des injonctions contradictoires qui les contraignent à « mal travailler ». Le mode de fonctionnement du centre éloigne le travailleur de la responsabilité morale des actes qu’il accomplit. Je montre que le plus souvent, ce cadre produit une soumission acritique à la norme institutionnelle, mais que parfois, les travailleurs de l’accueil résistent et accomplissent alors des actions discrétionnaires en faveur des demandeurs d’asile. Ces choix discrétionnaires en porte-à-faux avec la réglementation tendent en réalité à rapprocher les pratiques d’accueil de son idéal, un accueil tel que défini dans les grands textes internationaux des droits de l’homme, un accueil digne, universel et inconditionnel.Cette analyse en croisant les disciplines et approches (SIC, sociologie, border studies, etc.), les méthodes et outils (recherche documentaire, observation, entretien, outils issus de la linguistique de corpus, de l’approche narratologique, de la sémiotique, etc.) et les sources (presse, sites web, archives, littérature grise, sources orales) a permis d’étudier la communication à destination des demandeurs d’asile dans le champ de l’accueil dans toute sa complexité.