Résumé : L’objectif de cette thèse en sciences et gestion de l’environnement est d’actualiser les recherches sur le mouvement de justice climatique en Europe, tout en proposant une conceptualisation ascendante de « la construction de mouvement ». Cette conceptualisation est « ascendante » (bottom-up), dans la mesure où l’analyse proposée dérive en premier lieu des données collectées dans le cadre de l’enquête de terrain, qui ont ensuite été croisées avec certains apports importants de la littérature scientifique. Les registres théoriques mobilisés dans cette thèse sont multiples, de la sociologie des mouvements sociaux aux études de genre, de la géographie humaine critique à l’étude des organisations, de la psychologie sociale aux sciences politiques.La méthodologie principale est une ethnographie multisituée et engagée. L’enquête de terrain a duré un peu plus de quatre ans (2017-2021) et a été réalisée dans différents pays d’Europe, avec un accent particulier porté sur l’Allemagne et la Belgique. Elle s’appuie sur deux études de cas qui revendiquent leur appartenance au mouvement de justice climatique, l’alliance Ende Gelände en Allemagne et le collectif Climate Justice Camp Belgium en Belgique. L’enquête de terrain a également eu lieu au sein d’instances de réseautage comme le réseau européen Climate Justice Action (CJA). La thèse est structurée de manière thématique. L’introduction présente les objectifs et les questions de recherche. Le chapitre 1 joue le rôle de chapitre méthodologique. Le chapitre 2 porte sur l’histoire du mouvement de justice climatique en Europe à partir de 2008 et jusqu’en 2021. Le chapitre 3 porte sur les évolutions de la compréhension, du traitement et de l’utilisation de la justice climatique comme cadre et comme idéologie. Le chapitre 4 porte sur les dynamiques internes d’organisation de mes deux études de cas. Le chapitre 5 porte sur la composition sociale du mouvement de justice climatique, et sur les manières de comprendre et de combattre l’homogénéité sociale qui caractérise dans une grande mesure l’activisme de justice climatique en Europe. Le chapitre 6 porte sur la stratégie, et propose une conceptualisation et un modèle original de la construction de mouvement.En prenant l’exemple de la frange grassroots du mouvement de justice climatique en Europe, je souhaite montrer combien les mouvements sociaux n’émergent pas de nulle part mais sont plutôt activement construits par des personnes qui consacrent une énergie non-négligeable à les faire émerger et les développer en vue de rendre le monde plus juste. La construction de mouvement est comprise ici comme un processus intentionnel par lequel un mouvement social émerge et se maintient. Ce processus est également systémique car il repose sur la création et le développement d’infrastructures de mouvement qui ont plusieurs fonctions, et qui sont reliées entre elles. Ces infrastructures sont très variées : elles peuvent être spatiales (comme les échelles d’action militantes ou les espaces militants), discursives (comme les récits, les cadres, et l’idéologie), communicationnelles (comme les tactiques et les répertoires de communication), relationnelles (comme les liens sociaux, les organisations, la base, les réseaux ou les coalitions) ou intracommunautaires (comme l’identité collective, la composition sociale du leadership ou la culture militante). Leur développement et leur maintien dérive d’un certain nombre de processus spécifiques (à chaque infrastructure) et transversaux (à toutes les infrastructures). Ces processus transversaux peuvent relever de la transmission (comme l’effet d’entraînement, la diffusion ou l’apprentissage), de la délibération, de la réflexivité (comme la réflexivité émotionnelle et cognitive, la construction de connaissances ou la construction de frontières symboliques et sociales) ou encore de la liaison (comme l’adaptation au contexte ou la coopération). Ces infrastructures de mouvement ne sont pas développées de manière indépendante mais s’influencent entre elles. Elles sont interreliées pour deux raisons principales. La première raison est liée au fait que leur développement et leur maintien s’inscrivent dans une stratégie, qui est considérée ici comme une infrastructure transversale et comme une procédure, c’est-à-dire une marche à suivre en constante évolution. La deuxième raison est liée au fait qu’une infrastructure peut en influencer une autre de manière unilatérale ou mutuelle. L’élaboration de plusieurs infrastructures de manière simultanée est parfois tellement entremêlée qu’il s’avère impossible de déterminer quelle infrastructure exerce ou reçoit cette influence, reflétant le caractère systémique de la construction de mouvement.