Résumé : RESUME GENERALIntroduction La malnutrition constitue un véritable problème de santé publique et de développement. Le Burkina Faso à l’instar d’autres pays en développement, est confronté à une prévalence élevée du retard de croissance de 25,4 % en 2019 chez les enfants de moins de 5 ans, 8.1% de malnutrition aiguë ainsi que des taux élevés des autres formes de malnutrition. Cette situation pourrait compromettre l’atteinte des cibles de l’Assemblée mondiale de la santé (AMS) de 2025 et des objectifs de développement durable (ODD) de 2030.La nature multifactorielle des causes de la malnutrition étant largement reconnue, la planification multisectorielle demeure un outil indispensable pour permettre aux différents secteurs et acteurs de mieux modifier leurs plans en vue d'un objectif commun. Ces dernières années, les bases probantes indiquent que pour réduire durablement le niveau de la malnutrition, il est nécessaire de mettre à l’échelle des interventions spécifiques et sensibles à haut impact nutritionnel afin de s'attaquer aux différentes causes par une approche holistique au moyen de programmes multisectoriels. Pourtant l’approche multisectorielle de la nutrition tarde à s’opérationnaliser.Avec l'émergence du Scaling Up Nutrition Mouvement (SUN) en 2010, on a constaté un regain d'intérêt pour la multisectorialité dans le domaine de la nutrition.En outre, la qualité du processus de planification multisectorielle est une condition sine qua non pour la réussite de la mise en œuvre et pour maximiser l'impact nutritionnel des interventions.Également, la traduction des politiques nationales en actions concrètes au niveau décentralisé est une condition préalable pour assurer la mise à l’échelle et garantir un impact nutritionnel. Alors que la mise en œuvre se poursuit et que des obstacles se dressent, la préoccupation principale des parties prenantes est de comprendre les déterminants de la réussite de la mise en œuvre de programmes multisectoriels de nutrition au niveau communautaire. La qualité de la mise en œuvre est un aspect critique de l'efficacité du programme et, dans le cas du Burkina Faso, la maximisation des effets et des impacts de la mise en œuvre multisectorielle des interventions reste essentielle. Or la plupart des études se concentrent sur les causes de la malnutrition et les évaluations de l'impact des interventions et rares sont les études sur les sciences de mise en œuvre.Dans le but de produire des données probantes pour informer et orienter le processus politique et de planification multisectorielle de la nutrition au Burkina Faso, des études ont été réalisées. Cette série d’études s’est déroulées à travers trois étapes clés et articulée autour des objectifs spécifiques ci-dessous ainsi que du cycle de planification et de mise en œuvre :• Décrire le processus utilisé pour la cartographie d’un ensemble d'interventions nutritionnelles prioritaires dans le pays et décrire comment les résultats de la cartographie ont contribué au processus de planification multisectorielle de la nutrition au Burkina Faso.• Evaluer d’abord le degré d'intégration de la nutrition dans les politiques sectorielles et plans au niveau national et les opportunités d’amélioration, puis décrire le processus utilisé par le gouvernement du Burkina Faso pour reformer ses cadres politiques et la planification nationale multisectorielle de la nutrition, les progrès, leçons apprises, défis et perspectives.• Evaluer le degré de prise en compte de la nutrition dans la planification locale au niveau décentralisé, identifier les facteurs influençant positivement et négativement le processus d’intégration de la nutrition dans les plans communaux de développement (PCD) ainsi que les opportunités d’amélioration.• Identifier les facteurs facilitants et les défis de la réussite de la mise en œuvre d'un programme de nutrition centré sur une approche multisectorielle et communautaire de nutrition afin de tirer des implications programmatiques pour informer les planificateurs et les décideurs.Méthodes En vue d’atteindre notre objectif, quatre études ont été réalisées depuis 2014 au Burkina Faso.1. En 2014, une étude transversale portant sur l’exercice de cartographie en utilisant l'outil SUN de planification et de suivi (SUN PMT) pour collecter, stocker et analyser les données ;2. Une étude qualitative sur l’analyse du niveau d’intégration de la nutrition dans les politiques sectorielles et plans ainsi que sur la documentation du processus de planification multisectorielle incluant les reformes politiques entreprises , les progrès , défis et leçons apprises avec des données collectées à travers deux étapes clés : premièrement un aperçu des politiques conduit en 2015, et deuxièmement en novembre 2017 à travers une revue documentaire et des entretiens individuels conduits en novembre 2017 auprès de 32 acteurs impliqués dans le processus de planification nationale de la nutrition.3. En 2017, une étude qualitative sur l’intégration de la nutrition dans la planification décentralisée réalisée à travers : (i) une revue analytique des plans communaux de développement dans 10 communes de deux régions, (ii) des entretiens individuels et des focus group avec les informateurs clés et (iii) un atelier national de triangulation. Un cadre théorique d’analyse construit autour du degré d’intégration de la nutrition dans les PCD, des capacités des acteurs et ressources disponibles, la gouvernance et qualité du processus global de planification locale a été utilisée pour l’analyse. Les données ont été retranscrites, codées, synthétisées par thématique en utilisant l’approche déductive ;4. Une étude qualitative a été menée en 2019 sur les défis de la mise en œuvre de la multisectorialité en nutrition au niveau communautaire par : (i) des entretiens individuels avec des informateurs clés de 05 secteurs différents (santé, agriculture, environnement, élevage et éducation) et avec le personnel des associations, les agents et les leaders communautaires et (ii) des discussions de groupes avec des mères d'enfants de moins de deux ans. Paramétrage : Trois districts sanitaires de la région nord du Burkina Faso ont mis en œuvre un programme multisectoriel de nutrition communautaire pour améliorer les pratiques de l'ANJE.Participants : Quarante-sept acteurs de mise en œuvre et vingt-quatre mères bénéficiaires.Résultats : Les résultats de l’étude sur la cartographie nationale, sur la couverture des interventions spécifiques et sensibles à la nutrition présentent différentes analyses pour les 29 interventions prioritaires de nutrition. Les analyses comprennent la répartition des intervenants de la nutrition pour chaque intervention, de même que le calcul de la couverture géographique et des groupes cibles pour chaque intervention, et l'utilisation des mécanismes de délivrance pour atteindre les bénéficiaires. Les principaux résultats clés montrent :• Une multitude de partenaires qui appuient les structures de l’État dans la mise en œuvre des interventions clés en nutrition.• Certains partenaires peuvent jouer plusieurs rôles simultanément pour la même intervention : partenaire de mise en œuvre, catalyseur, ou bien catalyseur et donateur.• Rare sont les ONG qui visent une couverture géographique nationale.• Hétérogénéité dans la répartition des partenaires par rapport aux différentes interventions.• Pour les interventions spécifiques, la couverture géographique est satisfaisante. Cependant, la couverture des groupes cibles reste faible pour certaines interventions.• Pour les interventions sensibles, les couvertures géographiques et les couvertures des groupes cibles sont faibles.• La couverture des interventions de lutte contre la malnutrition aiguë (MA) dans le pays ne se superposent pas parfaitement à la prévalence de la MA dans les différentes régions• Peu d'enfants reçoivent un ensemble d'interventions intégrées multisectorielles de nutrition. De nombreuses actions clés sont mises en œuvre dans la plupart des régions, mais la plupart des actions atteignent seulement quelques enfants.• Les mécanismes de mise en œuvre sont variables et adaptables en fonction de secteur ; certains sont moins utilisés que les autres.L’étude sur le niveau d’intégration de la nutrition dans les politiques et plans sectoriels au niveau national a montré que le degré d’intégration de la nutrition dans les politiques de développement varie d’un secteur à l’autre. Les résultats des analyses ont montré que deux documents ont eu une couverture de 75% ou plus d’intégration des actions en nutrition. La politique nationale de la protection sociale (PNPS) et la politique nationale de la sécurité alimentaire et nutritionnelle (PNSAN) ont accordé une attention particulière à la nutrition. Elles ont reconnu la malnutrition comme un problème prioritaire et ont définis des objectifs globaux qui ciblent la sécurité alimentaire, la réduction de la pauvreté mais aussi une recherche d’impacts nutritionnels. Elles ont proposé pour y faire face les interventions surtout pour les groupes vulnérables que sont les femmes et les enfants. Sept documents du secteur de la santé, de l’éducation, de l’élevage et de l’économie et des finances ont une couverture d’intégration des actions en nutrition entre ≥50% et <75%. Les documents du secteur de la santé qui est le secteur « de tutelle », porte l’essentiel des actions spécifiques à la nutrition ont été classés dans cette catégorie. Le Plan National de Développement Sanitaire (PNDS, 2011- 2020) considère la nutrition comme prioritaire sans pour autant faire le lien avec l’ensemble des champs qui relèvent de son expertise et qui peuvent contribuer à améliorer la situation nutritionnelle. La Stratégie de Croissance Accélérée et de Développement Durable (SCADD) a inclut des objectifs spécifiques à la nutrition et associe la lutte contre la malnutrition au secteur de la santé. Les politiques de l’éducation et de l’eau et assainissement ont proposé des actions sensibles à la nutrition sans au préalable définis des objectifs ou des indicateurs en lien à la nutrition. Leur couverture a été classée entre 50% et <75% d’intégration des actions en nutrition. Les politiques et stratégies des autres secteurs contributeurs (Eau, Hygiène et/ou Assainissement, genre) ont plus relié leurs interventions aux questions de santé et indirectement de nutrition. Leur couverture a été classée entre 25% et <50% d’intégration des actions en nutrition. Les documents d’orientations politiques et stratégiques de certains secteurs importants comme l’environnement, le développement durable et de l’industrie et commerce n’ont pas établis de liens causaux entre leurs interventions sectorielles et la nutrition. De ce fait leur couverture a été de moins de 25% d’intégration des actions en nutrition. L’analyse a montré que les politiques publiques récentes ont mieux intégré la nutrition que celles qui dataient d’avant 2000. Les résultats de l’analyse du contenu des politiques et stratégies sectorielles ont indiqué qu’il y a lieu de saisir toutes les opportunités à intégrer davantage la nutrition dans les documents sectoriels. De 2015 à 2017, certains d’entre eux ont été développés ou réactualisés. Il s’agit du plan du développement économique et social (PNDES 2016-2020) en place et lieu de la SCADD, la politique nationale de nutrition (PNN) et son plan stratégique multisectoriel en nutrition , la politique nationale de sécurité alimentaire et nutritionnel (PNSAN 2017-2025), le programme national d’approvisionnement en eau potable 2016-2030 et le programme national santé, hygiène et nutrition en milieu scolaire (PDSEB 2016-2021) pour être en cohérence avec le PNDES et dans programme national du secteur rural. Le plan stratégique multisectoriel a été aligné au plan national de développement économique et social, il définit les actions clés à mettre en œuvre par les différents secteurs sensibles et spécifiques pour booster la nutrition au Burkina Faso pour la période de 2017-2020. On constate que contrairement au premier plan qui était axé sur les interventions du secteur de la santé, le nouveau plan stratégique multisectoriel en nutrition a inclus les interventions d’autres secteurs comme l’agriculture, l’éducation, la protection sociale, le commerce, l’eau-hygiène et assainissement. Le processus de planification multisectorielle s’est fait à travers trois étapes clés incluant la revue des politiques, la mise à l’agenda politique, la formulation du plan. Les progrès incluent la révision de la politique nationale de nutrition (PNN) pour plus de multisectorialité, la formulation du plan stratégique multisectoriel de nutrition (PSMN) consensuel et de qualité, la création d’une ligne budgétaire nutrition au ministère de la santé pour l’achat des intrants thérapeutique pour la prise en charge de la malnutrition aigüe sévère par le budget de l’Etat et la création d’un secrétariat technique d’alimentation et de nutrition directement rattaché au cabinet du Ministre de la santé pour assurer la coordination multisectorielle en nutrition , ainsi que l’amélioration de la prise en compte de la nutrition dans certains documents sectoriels. Le relèvement de l’ancrage supra ministériel de la coordination (au niveau de la Présidence ou de la primature), la mobilisation des ressources pour le financement du plan stratégique multisectoriel de nutrition (PSMN), le renforcement de l’engagement politique et des secteurs, le renforcement des capacités sont des défis majeurs et des actions prioritaires pour l’opérationnalisation du PSMN.L’étude sur la couverture et les déterminants de l’intégration de la nutrition dans la planification multisectorielle au niveau décentralisé a montré que le degré d’intégration de la nutrition dans les PCD a varié d’une commune à l’autre. Il a été relevé dans les PCD qu’il ressort clairement que la malnutrition est un problème multisectoriel avec des taux inacceptables (retard de croissance variant entre 28,8 % à 42,9 %) et qu’il existe un lien entre la nutrition et beaucoup de secteurs comme la sécurité alimentaire, le changement climatique, le commerce, l’élevage et la vulnérabilité des enfants et femmes enceintes. Malgré cette situation décrite, 60% des PCD n’ont pas une bonne couverture nutritionnelle et n’ont pas prévu d’interventions multisectorielles de lutte contre la malnutrition. La plupart des interventions étaient centrés sur l’insécurité alimentaire et l’environnement. Une commune sur cinq dans le Sahel et trois communes sur cinq à l’Est ont montré un effort d’intégration de la nutrition dans leurs PCD aussi bien les interventions spécifiques que les interventions sensibles. Ces communes étaient appuyées par des ONG internationales. Les principaux obstacles à l’intégration étaient la méconnaissance de la malnutrition par les élus locaux, le faible capacité des acteurs locaux en planification et faiblesse des ressources disponibles, approche de planification locale peu participative et peu inclusive, l’absence de stratégie d’orientation sur l’intégration de la nutrition, la préférence des élus locaux d’investir dans l’infrastructure physique ou structures visibles (tels que la construction d’écoles, de forages, de magasin, centres de santé) , la substitution par les partenaires pour l’appui à la mise en œuvre des activités de nutrition, l’insuffisance de sensibilisation à l’endroit du monde rural ou d’éducation nutritionnelle et obstacles liés à la gouvernance. Les facteurs clés facilitants l’intégration étaient l’internalisation du processus de planification locale, la présence des partenaires nutrition dans la commune et l’existence de perspectives de financement. Cette étude a permis d’alimenter le dialogue avec les maires et d’identifier les opportunités d’amélioration de l’intégration de la nutrition dans les PCD lors des révisions et des élaborations , ainsi que d’entreprendre des actions tel que l’élaboration d’un guide méthodologique d’intégration de la nutrition dans les PCD, l’organisation de formation sur la prise en compte des thématiques transversales comme la nutrition dans les PCD, l’internalisation du processus d’élaboration des PCD et le plaidoyer en faveur de la mobilisation des ressources locales, communales pour la nutrition.L’étude qualitative sur les facteurs facilitants et les défis de la mise en œuvre des programmes centré sur la multisectorialité en nutrition au niveau communautaire a identifié que les facteurs influençant la réussite de la mise en œuvre incluent la participation communautaire, l'engagement et la participation des secteurs, l'existence de champions locaux de la nutrition, le renforcement des capacités, l'intégration des interventions, la distribution de poudre de micronutriments, l'introduction d'interventions sensibles à la nutrition, telles que la promotion de la consommation de patates douces à chair orange, la production vivrière améliorée, le petit élevage amélioré, ainsi que la coordination efficace des acteurs et le co-financement. Les principaux défis de la mise en œuvre de la multisectorialité sont la faible participation des secteurs sensibles à la nutrition, la tendance au travail en silo entre les secteurs, les conflits d'agenda, la forte mobilité des acteurs, les différences de population cible et de stratégies de ciblage entre les secteurs, l’insuffisance de compétences techniques des agents communautaires, l'insuffisance des ressources financières, la faible convergence géographique et la faible couverture des bénéficiaires, l'absence de mécanisme de suivi multisectoriel et de redevabilité et l'insécurité. Cette étude sur la mise en œuvre a permis de faire de tirer des implications politiques et programmatiques pour les planificateurs, décideurs et les acteurs de mise en œuvre.ConclusionsIl ressort des travaux menés dans le cadre de notre thèse que la production de données probantes scientifiques au niveau du pays est très importante pour nourrir le dialogue et informer les politiques et la planification multisectorielle de la nutrition : • La cartographie des interventions clés de nutrition et des intervenants qui soutiennent ces interventions au Burkina Faso a été un outil important dans le processus de planification multisectorielle. L’exercice a permis d’identifier les gaps et les besoins, de lancer une discussion sur la planification de la nutrition et le passage à l’échelle des interventions, et de mobiliser les secteurs et les partenaires du développement autour de la nutrition.• La revue des politiques et plans en lien avec la nutrition ainsi que la documentation du processus de planification multisectorielle a permis d’identifier le niveau de prise en compte de la nutrition dans les politiques sectorielles et a alimenté le dialogue sur « la nutrition dans toutes les politiques ». L’amélioration de l’ancrage de l’organe de coordination multisectorielle au niveau supra ministériel, la mobilisation des ressources et la promotion de la redevabilité des secteurs constituent des prochaines étapes clés qui pourraient contribuer à la réussite de la mise en œuvre. • L’intégration de la nutrition dans les PCD constitue un défi majeur pour le Burkina Faso. Les résultats contribuent à une meilleure compréhension du processus d’intégration et pourraient alimenter la conception de stratégies pour améliorer le degré de prise en compte de la nutrition dans les PCD. Toutefois, la révision ou l’élaboration des PCD constituent une opportunité. Le fond minier de développement est également une opportunité de mobilisation des ressources locales pour la nutrition. • En ce qui concerne la mise en œuvre des programmes multisectoriels au niveau communautaire, le renforcement de la participation des secteurs, l'identification d'une stratégie de ciblage commune et la mobilisation des ressources financières pourraient réduire considérablement les obstacles et améliorer la qualité de la mise en œuvre.