Résumé : La recherche interroge, par la création de projets de design et par une thèse écrite, le rôle et le pouvoir de la visualisation de données dans l’approche des problématiques économiques. Dans cette étude critique et théorique, je me demande d’abord en quoi les visualisations de données qui construisent des accès aux informations et aux questionnements économiques façonnent des représentations et des comportements singuliers. Je fais l’hypothèse que les « technologies intellectuelles » (Goody) qui rendent visibles ces données – les diagrammes, les réseaux, les cartes – ont construit depuis le début du XIXe siècle, une vision particulièrement étroite, désincarnée et dépolitisante de l’économie. Cependant, le design dispose de moyens favorisant, dans certaines conditions, la réappropriation des sujets économiques par les non-expert·e·s. Il s’agit alors de comprendre, en étudiant l’évolution de ses méthodes, la nature du régime contemporain de visualisation des phénomènes économiques, que je qualifie de néolibéral, et d’explorer ensuite les espaces d’intervention du design où des alternatives peuvent se déployer.Dans un second temps, au-delà de décrire, de comprendre ou de faire comprendre des phénomènes économiques, il m’a semblé que le rôle du design dans la visualisation de données était d’opérer des actes de « saisie » : saisir les données et les phénomènes, sur le plan cognitif, pour les comprendre ; mais aussi saisir les phénomènes économiques, dans leur sens, leur signification et leur raison d’être, le sens de l’économie et les objectifs qu’elle poursuit ; enfin, saisir par les sens, sur le plan sensoriel et sensible, en nous rappelant qu’au-delà de l’œil et de la vue, c’est le corps tout entier qui peut opérer la saisie. Ne parvenant pas à saisir l’économie, en me concentrant sur la performance cognitive ou communicationnelle des visualisations de données, l’hypothèse d’une « emprise sorcière » (Stengers et Pignarre), s’est alors imposée comme un terrain d’expérimentation fécond et comme une clé de lecture précieuse pour positionner, dans mon travail, l’imagination, les corps, les sens, les représentations mentales en tant qu’éléments essentiels pour penser l’économie. La magie qui habite nos rapports à l’économie m’oriente d’abord vers le pouvoir de rendre visible l’invisible, que détiennent les visualisations de données, et m’amène à questionner leur puissance liée à leur nature d’image. J’esquisse ensuite, avec la magie des liens (Bruno), une théorie de la visualisation comme pouvoir de relier et introduit la méthode des microcosmogrammes. Enfin, avec la sorcellerie, c’est la capacité à rendre tangible l’impalpable qui est examinée et confrontée au concept de désorcèlement (Favret-Saada), d’où j’extrais des principes méthodologiques et un questionnement sur la figure de la ou du designer-désorceleur.
Through the creation of design projects and a written thesis, the research questions the role and power of data visualisation in the approach to economic issues. In this critical and theoretical study, I first wonder how data visualisations that construct access to economic information and issues, shape specific representations and behaviours. I hypothesise that the 'intellectual technologies' (Goody) that make these data visible – charts, diagrams, networks, maps – have built a particularly narrow, disembodied and depoliticising view of the economy since the early nineteenth century. However, under certain conditions, design has the means to encourage the reappropriation of economic subjects by non-experts. I try to understand, by studying the evolution of its methods, the nature of the contemporary regime of visualisation of economic phenomena, which I describe as neoliberal. I then explore the design spaces where alternatives can be deployed.Secondly, beyond describing, understanding or making economic phenomena understood, it seemed to me that the role of design in data visualisation was to allow to grasp: to grasp data and phenomena, on a cognitive level, in order to understand them; but also to grasp economic phenomena, in their meaning, their significance and their raison d'être, the meaning of the economy and the objectives it pursues; finally, to grasp through the senses, on a sensory and sensitive level, reminding us that beyond the eye and the sight, it is the whole body that can carry out the grasping. As I was unable to grasp the economy by focusing on the cognitive or communicative performance of data visualisations, the hypothesis of a 'sorcerer's capture' (Stengers and Pignarre), became a fertile field of experimentation and as a precious key to understanding. It has allowed to position, in my work, imagination, bodies, senses and mental representations as essential elements for thinking about the economy. Firstly, with the magic that inhabits our relationship to the economy, I focus on the power of data visualisations to make the invisible visible, and then I question their power linked to their nature as images. Then, with the magical bondings (Bruno), I sketch a theory of visualisation as a power to bind and introduce the method of microcosmograms. Finally, with witchcraft, it is the capacity to touch the impalpable that is examined and confronted with the concept of unbewitching (Favret-Saada), from which I extract methodological principles and a questioning of the figure of the designer-unbewitcher.