Résumé : La thèse porte sur les organisations de coopération agricole au stade de la production (OCAP) en Belgique. Elle s’inscrit dans le champ de l’économie institutionnelle, de l’économie sociale et de l’économie politique agraire. À partir d’une enquête empirique, la recherche s’efforce d’étayer la thèse de la complexité du fonctionnement interne des OCAP en Belgique étant donné la multiplicité des objectifs poursuivis par leurs membres et la nature des relations sociales dans lesquelles sont insérées ces structures coopératives de production agricole. En tant qu’objet d’étude, les OCAP sont définies comme les formes volontaires de coopération qui portent sur les processus biologiques de la culture des plantes et de l'élevage des animaux. Ces arrangements institutionnels sont caractérisés par la construction d'un ensemble de règles collectives qui organisent la mise en commun de ressources et d’activités et par la négociation entre associés des critères de répartition des résultats monétaires et non monétaires issus du travail. Les OCAP se distinguent des coopératives agricoles largement développées depuis le 19e siècle en Europe de l’Ouest pour offrir des services en amont ou en aval de la production. Ces coopératives de services ont été constituées pour faciliter l’intégration verticale sur les marchés d’exploitations indépendantes tandis que les OCAP, en intervenant au stade de la production, organisent la coopération horizontale entre agriculteurs associés.Les OCAP sont relativement peu développées en Europe et ailleurs dans le monde. Pourtant, les arguments pour coopérer au stade de la production agricole sont multiples et articulent des motivations d’ordre économique, social, politique, écologique et idéologique. Elles relèvent notamment de la volonté d’accéder aux ressources productives, de bénéficier d’économies d’échelle, d’améliorer les conditions de travail ou de renforcer les interdépendances des exploitations avec leur environnement biophysique et socioéconomique. Plusieurs raisons peuvent toutefois expliquer le fait que les OCAP sont peu répandues, comme l’attachement des agriculteurs à leur terre ou l’apparition de déséconomies d’échelle à partir d’un seuil de dimension relativement bas, liées aux coûts de déplacement des travailleurs et du matériel et aux coûts de coordination du travail. Malgré ces difficultés, depuis les années 2000 en Belgique, de nouvelles initiatives coopératives au stade de la production agricole sont portées par des néo-agriculteurs et coexistent avec les autres types d’exploitations agricoles. Notre recherche interroge en particulier la diversité des pratiques organisationnelles déployées au sein des OCAP à travers l’analyse des conditions sociales de production, des mécanismes qui permettent d’articuler la multiplicité des objectifs poursuivis et des processus de démocratisation de l’économie rurale. Pour cela, nous avons mené trois enquêtes empiriques complémentaires à partir d’une combinaison de méthodes de recherche qualitative. La première permet de caractériser la diversité organisationnelle des OCAP par la construction d’une typologie empirique menée sur la base d’un échantillon de 31 organisations. Trois variables dichotomiques définissent les types d’OCAP : la mise en commun du travail de la terre, le contrôle de la production et l’étendue de la coopération. L’analyse des conditions sociales de production dans chacun des types procède ensuite à l’examen des formes d’accès au foncier et au capital d’exploitation, des modes de prise de décision, des conditions de travail et des modalités de répartition des résultats produits. Cette première étude met finalement en évidence les tensions qui caractérisent la nature des relations que les agriculteurs nouent entre eux et avec d’autres catégories d’acteurs. La deuxième enquête empirique investigue les mécanismes par lesquels les membres des structures intégrales de coopération agricole, dont la particularité est d’organiser en commun le travail de la terre selon des principes agroécologiques, parviennent à construire une cohérence interne à leur organisation étant donné la multiplicité des objectifs qu’ils poursuivent. À travers une analyse comparative de dix organisations, les structures coopératives de production agroécologique sont alors étudiées à travers le prisme des organisations hybrides car, au-delà de la logique commerciale, elles combinent des demandes contradictoires issues de leur engagement dans des logiques d’autogestion, d’agroécologie et d’ancrage territorial. Après avoir défini les propriétés de ces logiques institutionnelles, l’analyse met en évidence les tensions paradoxales qui découlent de leur combinaison et les réponses organisationnelles mises en œuvre pour poursuivre dans la durée les multiples rationalités engagées. La troisième analyse consiste en une monographie d’une OCAP dont la singularité est de répartir le contrôle de la production agroécologique entre agriculteurs et citoyens. L’analyse vise à préciser la notion de démocratie économique à partir des principes qu’elle sous-tend et des principales praxis démocratiques mises en œuvre par les acteurs pour réguler leurs activités économiques. En particulier, nous avons cherché à comprendre les contradictions des pratiques organisationnelles avec les principes de démocratie économique et avec certains fondements du mouvement coopératif, ainsi que les tensions internes qui en résultent. Ce travail nous permet finalement d’appréhender dans une perspective critique et nuancée la transformation du rôle des citoyens dans les activités économiques et la diversification contemporaine des formes coopératives dans le secteur agricole et alimentaire induites par l’émergence d’initiatives aux multiples parties prenantes.
This thesis focuses on agricultural production cooperatives (APCs) in Belgium. It is framed within the fields of institutional economics, social economics, and agrarian political economy. Based on qualitative empirical research, this work seeks to untangle the thesis of the complexity of the internal functioning of APCs in Belgium, given the multiplicity of objectives pursued by their members, and the nature of the social relations in which these agricultural production cooperatives are embedded. APCs are defined here as voluntary forms of cooperation that deal with the biological processes of cropping plants and rearing animals. These voluntary arrangements are premised upon the construction of a set of collective rules that organize the pooling of resources and activities, as well as the negotiation between associates of the criteria for redistribution of monetary and non-monetary working outcomes. APCs are different from the agricultural cooperatives that, since the 19th century, have developed widely in Western Europe to offer upstream or downstream production services. The latter were established to facilitate the vertical integration of independent farms into markets. Instead, APCs, by intervening at the production stage, organize horizontal cooperation between associated farmers.APCs are relatively undeveloped in Europe and elsewhere in the world. However, incentives for cooperating at the agricultural production stage are multiple, and articulate economic, social, political, ecological, and ideological motivations. Such motivations relate to the desire to access productive resources, to benefit from economies of scale, to improve working conditions, or to strengthen the interdependence of farms with their biophysical and socioeconomic environment. Notwithstanding this, various elements may explain the limited presence of APCs such as farmers' attachment to the land or the appearance of diseconomies of scale from low dimension thresholds, linked to the costs of moving workers and equipment and the costs of coordinating work. Despite these difficulties, in Belgium, from the 2000s, new initiatives of agricultural production cooperation have been created by neo-farmers, and coexist with other social types of farms.Our research specifically examines the diversity of organizational practices implemented within APCs through the analysis of the social conditions of production, the mechanisms that allow the combination of the multiple objectives pursued and the processes of democratization of the rural economy. To do this, we conducted three complementary empirical analyses using a combination of qualitative research methods. The first analysis allows us to characterize the organizational diversity of APCs by constructing an empirical typology based on a sample of 31 organizations. Three dichotomous variables define the types of APCs: the pooling of labour on the land, the control of production, and the extent of cooperation. From the analysis of the social conditions of production in each type of APCs, it then proceeds to examine the forms of access to land and capital, the modes of decision-making, the working conditions, and the modalities of outcomes distribution.The second empirical study investigates the mechanisms by which members of the integral structures of agricultural cooperation, whose peculiarity is to organize farming labour collectively according to agroecological principles, manage to build an internal coherence within their organization given the multiple objectives they pursue. Through a comparative analysis of ten organizations, agroecological production cooperatives are studied through the prism of hybrid organizations, as they combine contradictory demands stemming from their commitment to logics of self-management, agroecology, and territorial embeddedness. After defining the properties of these institutional logics, the analysis reveals the paradoxical tensions that arise from the combination and the organisational responses adopted to pursue this multiplicity of rationalities on the long run. The third empirical analysis consists of a single case study on one type of APC, whose singularity is to allocate the control of production between farmers and citizens. Through an in-depth study of a citizen agroecological production cooperative, the analysis aims to clarify the notion of economic democracy by looking at its underpinning principles, and at the main democratic praxis that actors implement to regulate their economic activities. In particular, we unveil the internal contradictions that emerge from the organizational practices with the principles of economic democracy and certain foundations of the cooperative movement. This work finally allows us to grasp, through the adoption of a critical and nuanced perspective, the transformation of the citizen's role in economic activities, and the contemporary diversification of cooperative forms propelled by the emergence of multi-stakeholder initiatives in the agricultural sector.