Résumé : Introduction : Les pays à bas et moyens revenus (PBMR) traversent une phase de transition nutritionnelle qui s’accompagne d’un accroissement rapide des pathologies cardio-métaboliques et de leurs facteurs de risque, à l’instar de l’obésité chez l’adulte, alors que la sous-nutrition prédomine encore largement chez l’enfant dans ces régions. Ce double fardeau de malnutrition constitue un problème majeur de santé publique. D’après la théorie des origines développementales des maladies chroniques non transmissibles (MNT), ces 2 fardeaux seraient étroitement liés de manière causale. L’objectif de notre étude était de retracer ses sujets avec antécédents de malnutrition aiguë sévère (MAS) durant l’enfance, d’évaluer leur devenir à long terme sur le plan socio-économique, cognitif et sanitaire, et enfin de rechercher les différents marqueurs cardio-métaboliques des MNT. Tout cela en vue d’établir une association entre MAS durant l’enfance et différentes MNT (Hypertension, diabète, obésité, dyslipidémies et composition corporelle) ainsi qu’avec le statut sociodémographique et économique à l’âge adulte, dans un contexte sans transition nutritionnelle.Méthodologie : Les dossiers de sujets admis pour MAS entre 1988 et 2007 ont été extraits des archives de l'hôpital pédiatrique de Lwiro (HPL), au Sud-Kivu, en République Démocratique du Congo (RDC). Entre décembre 2017 et avril 2019, nous avons entrepris d'identifier ces sujets dans les zones de santé de Miti-Murhesa et Katana. Les sujets d’étude ont été identifiés à partir de la base de données de l'HPL. Ils ont ensuite été recherchés dans leurs villages d’origine. Ils ont alors été répartis en quatre catégories (vivant dans le village ou ses environs, décédé, déplacé ou perdu de vue). Pour chaque ancien malnutri retrouvé, un non-exposé communautaire a été choisi de manière aléatoire pour une comparaison. Nos résultats d’intérêt étaient prioritairement les MNT incluant le syndrome métabolique, l’hypertension artérielle, l’obésité globale, l’obésité viscérale, le diabète sucré, les dyslipidémies ainsi que la composition corporelle évaluées par leurs différents marqueurs cliniques et biologiques et, accessoirement, l’atteinte rénale à travers le taux de créatinine sérique. Secondairement, nous avons évalué le capital humain à travers le niveau socio-économique (déduit à partir de la scolarité, la profession et les conditions de vie), l’estime de soi, les troubles cognitifs ainsi que les incapacités quotidiennes sur le plan relationnel et fonctionnel liés à l’état de santé. Il est signalé cependant qu’au moment de la reconstitution de la cohorte, nous avons récolté des données relatives à la survie (et son corolaire la mortalité et ses causes) ainsi que l’état nutritionnel à long terme.Résultats : Un total de 1981 dossiers des sujets admis pour MAS de 1988 à 2007 a été extrait des archives de l’HPL. L’âge médian à l’admission était de 41 mois. Six cents sujets ont été retrouvés et 201 sujets sont décédés. Soixante-cinq virgule six pourcents des sujets décédés avaient ≤10 ans lors de leur mort. Cinquante-neuf virgule deux pourcents de décès sont survenus dans les 5 ans ayant suivi la sortie de l’hôpital. Les principales causes de décès étaient le paludisme (14,9%), le kwashiorkor (13,9%), les infections respiratoires (10,4%) et les maladies diarrhéiques (8,9%). Comparés aux non exposés, les exposés avaient un faible poids (-1,7 kg, p=0,001), une petite taille [assise (-1,3 cm, p=0,006) et debout (-1,7 cm, p=0,003)], une longueur moindre des jambes (-1,6 cm, p=0,002) et un petit périmètre brachial (-3,2 mm, p= 0,051). Aucune différence n’a été observée en termes d’indice de masse corporelle (IMC), de longueur thoracique, et de périmètre crânien ou thoracique entre les 2 groupes.En termes de composition corporelle, les exposés, comparés aux non exposés, avaient une masse maigre réduite [-1,56 kg (-2,93, -0,20) ; p=0,024] mais cette observation était plus marquée chez les hommes (45,4 5,4 vs. 48,26,9 kg, p=0,01) que chez les femmes. En revanche, aucune différence entre exposés et non exposés n'a été observée en termes de masse grasse. Enfin, en ajustant pour la taille, l’index de masse maigre et l’index de masse grasse n’a montré aucune différence dans les deux groupes indépendamment du sexe.Sur le plan capital humain, comparés aux non exposés communautaires, la proportion avec niveau d’études et niveau socio-économique (NSE) élevés d’anciens malnutris était diminuée [niveau études (35,2 vs 46,4 ; p  0.) ; NSE (3,0 vs 6,7 ; p= 0,007)]. En plus, sur le plan cognitif et estime de soi, comparés aux non-exposés, les anciens malnutris avaient des scores inférieurs aux tests cognitifs [25.6 vs 27.8, p = 0.001 [Mini Mental State Examination (MMSE)] et 22.8 vs 26.3, p < 0.001(MMSE-I)] et avaient une moindre estime d’eux-mêmes (20,3% vs 12,3% ; p = 0.003). Néanmoins, en termes d’incapacités liées à l’état de santé, ces derniers avaient moins d’incapacités au plan relationnel (28,6 vs 31,5 ; p = 0.034) que la population générale, quoiqu’aucune différence n’ait été observée au plan des activités quotidiennes (5,8 vs 9,1 ; p = 0.322)En termes de MNT, comparés aux non exposés communautaires, les anciens malnutris avaient un tour de taille majoré [+1.2 (0.02,2.3) cm, p=0.015] et ratio tour de taille/taille debout supérieur [0.01 (0.01, 0.02) cm; p0.001]. Par contre, ils avaient un tour de hanches diminué [-1.5 (-2.6, -0.5) cm; p=0.021], et une force musculaire réduite. Concernant les marqueurs cardio-métaboliques de MNT, hormis une HbA1c plus élevée [+0.4 (0.2, 0.6)%; p0.001], aucune différence n’a été mise en évidence concernant la pression artérielle, la glycémie à jeun, la créatinine, le profil lipidique et l’albuminémie chez les exposés par rapport aux non exposés. En comparaison des non exposés, les exposés avaient une prévalence accrue de syndrome métabolique [Odds Ratio (OR) 2.35 (1.22, 4.54); p=0.010], d’obésité viscérale [OR ajusté 1.44 (1.09, 1.89); p=0.001] et de maigreur [OR ajusté 1.92 (1.03, 3.57)]. En revanche, la prévalence d’hypertension, de diabète, de surpoids et de dyslipidémie était similaire dans les deux groupes.Conclusion : Une MAS durant l’enfance expose les survivants à un risque élevé de MNT et à une diminution du capital humain à l’âge adulte, même en l’absence de transition nutritionnelle subséquente. Les décideurs politiques et les bailleurs de fonds souhaitant lutter contre l'expansion mondiale des MNT chez l’adulte pourraient considérer le bénéfice à long terme de la réduction de la MAS dans l’enfance en tant que mesure préventive de réduction du fardeau attribuable aux MNT au plan socio-économique.
Introduction: Low- and middle-income countries are going through a nutritional transition phase that is accompanied by a rapid increase in cardio-metabolic diseases and their risk factors, such as obesity in adults, while undernutrition still predominates in children in these regions. This double burden of malnutrition constitutes a major public health problem. According to the theory of developmental origins of chronic noncommunicable diseases (NCDs), these 2 burdens would be closely causally linked. The objective of our study was to trace subjects with a history of severe acute malnutrition (SAM) in childhood, to assess their long-term socioeconomic, cognitive, and health outcomes, and finally to investigate the different cardiometabolic markers of NCDs. All this was done in order to establish an association between SAM during childhood and different chronic non-communicable diseases (hypertension, diabetes, obesity, dyslipidemias and body composition) as well as with socio-demographic and economic status in adulthood, in a context without nutritional transition.Methodology: Records of subjects admitted for SAM between 1988 and 2007 were retrieved from the archives of Lwiro Hospital, South Kivu, Democratic Republic of Congo (DRC). Between December 2017 and April 2019, we undertook to identify these subjects in the Miti-Murhesa and Katana health zones. Study subjects were identified from the Lwiro Pediatric Hospital (LPH) database. They were then traced to their home villages. They were then divided into four categories (living in or near the village, deceased, displaced, or lost to follow-up). For each former malnourished found, a community non-exposed was randomly selected for comparison. Our outcomes of interest were primarily NCDs including primarily metabolic syndrome, arterial hypertension, global obesity, visceral obesity, diabetes mellitus, dyslipidemias as well as body composition assessed by their different clinical and biological markers and, secondarily, renal impairment through serum creatinine level. Secondly, we evaluated the human capital through the socio-economic level (deduced from the education, the profession and the living conditions), the self-esteem, the cognitive disorders as well as the daily disabilities on the relational and functional level related to the health condition. It should be noted, however, that at the time of reconstitution of the cohort, we collected data on survival (and its corollary, mortality and its causes) and long-term nutritional status.Results: A total of 1981 records of subjects admitted for SAM from 1988 to 2007 were retrieved from the archives of the LPH. The median age at admission was 41 months. Six hundred subjects were found and 201 subjects died. 65.6% of the deceased subjects were ≤10 years of age at death. 59.2% of deaths occurred within 5 years of hospital discharge. The leading causes of death were malaria (14.9%), kwashiorkor (13.9%), respiratory infections (10.4%), and diarrheal diseases (8.9%). Compared to the unexposed, the exposed had low weight (-1.7 kg, p=0.001), short stature [sitting (-1.3 cm, p=0.006) and standing (-1.7 cm, p=0.003)], shorter leg length (-1.6 cm, p=0.002), and small brachial circumference (-3.2 mm, p= 0.051). There were no differences in BMI, chest length, and head or chest circumference between the 2 groups.In terms of BC, exposed, compared to unexposed, had a reduced FFM [-1.56 kg (-2.93, -0.20); p=0,024] but this observation was more marked in exposed males (45.4  5.4 vs. 48.2 6.9 kg, p=0.01) than females compared to unexposed. However, no difference between exposed and unexposed was observed in terms of FM. Finally, adjusting for height, FFMI and FMI show no difference in either sex.In terms of human capital, compared to the community unexposed, the proportion with high education and socioeconomic status (SES) of formerly malnourished was decreased [study (35.2 vs. 46.4; p 0.); SES (3.0 vs. 6.7; p= 0.007)]. In addition, in terms of cognition and self-esteem, compared to the non-exposed, the formerly malnourished had lower scores on cognitive tests [25.6 vs 27.8, p = 0.001 (MMSE) and 22.8 vs 26.3, p < 0.001 (MMSE-I)] and had lower self-esteem (20.3% vs 12.3%; p = 0.003) Nevertheless, in terms of health-related disabilities, they had less disability in relationships (28.6 vs. 31.5; p = 0.034) than the general population, although no difference was observed in daily activities (5.8 vs. 9.1; p = 0.322).In terms of NCDs, compared to the community unexposed, the malnourished elders had an increased waist circumference [+1.2 (0.02, 2.3) cm, p=0.015] and a higher waist/standing height ratio [0.01 (0.01, 0.02) cm; p0.001]. On the other hand, they had a decreased hip circumference [-1.5 (-2.6, -0.5) cm; p=0.021], and reduced muscle strength. Regarding cardiometabolic markers of NCDs, apart from a higher HbA1c [+0.4 % (0.2, 0.6); p0.001], no differences were found in blood pressure, fasting blood glucose, creatinine, lipid profile and albumin levels in the exposed compared to the unexposed. Compared to unexposed individuals, exposed individuals had an increased prevalence of metabolic syndrome [Odds Ratio (OR) 2.35 (1.22, 4.54); p=0.010], visceral obesity [adjusted OR 1.44 (1.09, 1.89); p=0.001] and leanness [adjusted OR 1.92 (1.03, 3.57)]. In contrast, the prevalence of hypertension, diabetes, overweight and dyslipidemia was similar in both groups.Conclusion: SAM in childhood puts survivors at high risk for NCDs and reduced human capital in adulthood, even in the absence of subsequent nutritional transition. Policymakers and funders interested in combating the global expansion of NCDs in adults might consider the long-term benefit of reducing SAM in childhood as a preventive measure to reduce the socioeconomic burden attributable to NCDs.