Résumé : L'émergence de troubles mentaux représente une épreuve du cours de la vie normale. L'ordinaire ainsi ébranlé constitue l'enjeu d'une reconstruction qui appelle à des transformations, tant au sein de la vie familiale que collective, et des réajustements intersubjectifs entre chaque personne impliquée dans le quotidien du soin. Alors que le développement d'une symptomatologie sévère déroute le cours de la vie ensemble, comment la temporalité chronique se trouve-t-elle appréhendée et prise en charge du point de vue des solidarités sociales et familiales, et quel rôle la personne elle-même joue-t-elle dans ce processus ? Ce travail de thèse participe à répondre à cette problématique en s'attachant à l'étude des modes de prise en charge et de l'expérience sociale de la folie à Niamey, avec la spécificité de s'inscrire dans le temps long de l'Histoire de la médecine mentale en Afrique de l'Ouest et des histoires individuelles et familiales. À partir d'une enquête ethnographique conduite au sein du milieu local marginalisé de la psychiatrie, et ce en suivant dans le quotidien des trajectoires de personnes atteintes de pathologies sévères et chroniques, cette recherche décrit les ressources, mobilisées et réinventées, pour (re)créer des formes de continuité et de stabilité de la vie quotidienne. En portant une attention particulière aux modes et logiques plurielles de prise en charge de la maladie mentale chronique, ainsi qu'aux expressions - discursives et narratives - produites par les personnes souffrantes et leur entourage en soutien de leur renouvellement, ce travail entend mettre en relief la vie ordinaire des individus, entre pluralité des soins et logiques d'exclusion sociale, là où la littérature sur l'Afrique subsaharienne s'était jusqu'ici principalement développée autour d'une connaissance des modèles thérapeutiques de prise en charge de la maladie mentale et de leurs évolutions. En produisant un savoir sur le quotidien des troubles mentaux à partir d'une théorisation émergeant "par le bas" de l'épreuve de la maladie chronique, cette thèse engage une réflexion sur la responsabilité du soin dans la prise en charge de la folie. En ce sens, elle participe aux débats sur la santé mentale et les solidarités face à la maladie chronique et les formes plurielles de vulnérabilité.