Résumé : Contexte La drépanocytose est un problème de santé publique en République Démocratique du Congo (RDC), mais elle est encore mal connue par les familles concernées et pas suffisamment par les professionnels de santé. L’utilisation de l’hydroxyurée dans sa prise en charge est rare malgré son efficacité prouvée. Les centres de référence de la drépanocytose sont basés dans les grandes villes et capitales, n’existent presque pas dans les zones reculées pour les familles ayant de très faibles sources de revenus. Les objectifs de cette étude sont 1) d’évaluer le niveau de connaissance et les comportements de familles concernées ainsi que l’impact de cette maladie dans leur quotidien, 2) d’évaluer les connaissances et les pratiques des médecins congolais vis-à-vis de la drépanocytose, 3) de démontrer la faisabilité et l’accessibilité d’un suivi médical standardisé et régulier des enfants atteints de drépanocytose sur la base de la création d’un centre de référence dans une ville reculée de la RDC, et 4) d’établir la disponibilité et le coût moyen de l’hydroxyurée en RDC. Ces deux derniers aspects permettront d’envisager l’introduction de l’hydroxyurée dans l’arsenal thérapeutique des malades.Méthode À Mbujimayi, une ville reculée au Centre-Est en RDC, ont été réalisées des études de type transversal descriptif à l’aide de questionnaires à choix multiples ou à réponses ouvertes, et de type prospectif par un suivi médical d’une cohorte de 143 enfants atteints de drépanocytose. Le suivi médical consistait en une période de 12 mois sans intervention médicale spécifique en dehors de la gestion des événements aigus, suivi d’une seconde période de 12 mois avec une visite médicale mensuelle, un suivi biologique et une prophylaxie régulière. Résultats Les enquêtes menées sur le terrain pendant une période allant de 2015 à 2018 ont montré que chaque premier enfant drépanocytaire faisait en moyenne annuellement trois crises douloureuses, 4 épisodes de fièvre, recevait deux transfusions sanguines et avait 3 épisodes d’hospitalisation. Le niveau des connaissances des familles concernées sur la drépanocytose est faible. Soixante-deux pourcents (31/50) des familles concernées n’avaient pas un revenu mensuel suffisant pour la prise en charge de leur(s) enfant(s), 96% (48/50) des familles souhaitaient la création d’un centre de référence de prise en charge. Bien que l’autoévaluation des connaissances de la drépanocytose par les médecins ait été estimée comme moyenne à bonne, moins de la moitié des participants (212/460 ; 46 %) a signalé une gestion adéquate des crises vaso-occlusives par manque de moyens, et seulement 1 % d’entre eux avaient reçu une formation spécifique sur les syndromes drépanocytaires majeurs. La plupart des médecins ont signalé des difficultés tant en termes de diagnostic (299/460 ; 65 %) que de la prise en charge (363/460 ; 79%). En outre, 85 % de ces médecins n’avaient pas accès aux outils de diagnostic. L’âge médian des patients au moment du diagnostic de la drépanocytose était de deux ans (IQR : 1–5). L’hydroxyurée n’était disponible que dans 22% des pharmacies participantes (41/188) et beaucoup plus fréquemment dans celles d'une grande ville que dans celles d’une ville reculée (34/96 contre 7/92). Le prix de l'hydroxyurée variait de 10 à 35 $, avec un prix moyen de 15 $ pour une boîte de 20 gélules. Ce prix est prohibitif pour la majorité des patients drépanocytaires. La mise en place d’un suivi médical standardisé et régulier a montré une augmentation du niveau annuel moyen d’hémoglobine de 50 à 70 g/L (p = 0,001), et une diminution significative (p < 0,001) du nombre annuel moyen d’hospitalisations, d’épisodes de crises vaso-occlusives, de transfusions sanguines, d’infections et de syndromes thoraciques aigus. ConclusionsCe travail montre qu’il y a des lacunes au niveau des connaissances et pratiques des familles concernées par la drépanocytose à Mbujimayi en RDC. La situation de cette maladie reste préoccupante dans cette région que ce soit au niveau de la morbidité ou de son impact sur les familles concernées. Les médecins congolais présentent des connaissances insuffisantes sur la drépanocytose et ont des moyens de diagnostic et de traitement insuffisants. Ceci pourrait contribuer à une augmentation de la morbidité et de la mortalité de la drépanocytose en RDC. La création d'un centre de référence de la drépanocytose et l'application des recommandations classiques de prise en charge sont possibles et applicables dans le contexte d'une ville reculée dans un pays à revenu faible. La mise en place d’un suivi médical standardisé et régulier diminue significativement la moyenne annuelle des complications aiguës de la maladie. Des mesures simples et accessibles incluses dans les recommandations conventionnelles peuvent réduire la morbi-mortalité de ces patients dans les régions reculées si elles sont appliquées de manière rigoureuse avec un suivi médical régulier. Ce travail démontre que ce suivi est possible et applicable dans une région reculée en RDC et dresse les conditions d’instauration d’un traitement par hydroxyurée pour la prise en charge de la drépanocytose même dans ces milieux reculés. Cependant l’hydroxyurée reste peu disponible dans les pharmacies en RDC et son prix est prohibitif pour beaucoup de patients drépanocytaires.