Résumé : Les personnes âgées atteintes d’un cancer, quel qu’il soit, expérimentent fréquemment une perte non intentionnelle de poids corporel, qui se caractérise par une perte de masse musculaire, et parfois de masse adipeuse. Outre la sarcopénie primaire, qui est définie par une perte de masse musculaire liée au vieillissement physiologique, les patients âgés cancéreux souffrent également fréquemment de dénutrition protéino-calorique, d’anorexie et de cachexie, induites par leur fragilité gériatrique, la tumeur en elle-même, mais aussi les traitements anti-cancéreux, et qui vont aggraver cette atrophie musculaire. La sarcopénie fait l’objet d’un intérêt croissant au cours des dernières années, et notamment dans le cancer. Les concepts de sarcopénie, de dénutrition, et de cachexie ont fait l’objet de définitions de consensus, qui partagent des caractéristiques cliniques communes, ce qui ne permet pas de les distinguer l’un de l’autre et ainsi d’obtenir une approche thérapeutique ciblée. Or, il est à présent bien démontré que la sarcopénie augmente significativement le risque de complications post-opératoires, la toxicité à la chimiothérapie, et péjore la survie.Notre objectif primaire était de mettre en évidence par une analyse exploratoire les caractéristiques, cliniques ou biologiques, qui permettraient de différencier sarcopénie, dénutrition et cachexie cancéreuse chez des patients âgés. Nous avons également étudié comme objectifs secondaires les facteurs prédictifs de la mortalité, et l’évolution de la définition de la sarcopénie au cours d’un an de suivi.Nous avons exploré les caractéristiques musculaires, nutritionnelles et biologiques (hormonaux et inflammatoires) de 99 patients âgés de 70 ans et plus, présentant un cancer solide, avant l’initiation d’un traitement, dans deux centres universitaires, l’hôpital Erasme et à l’UZ Brussel. Quoique la masse musculaire médiane était normale, 10% étaient dénutris, 34% présentaient une cachexie, et 68% un stade avancé (III ou IV selon l’EORTC). Les patients dénutris présentaient plus de caractéristiques gériatriques (p<0.001), moins de masse et de force musculaire (p<0.005), et plus d’inflammation (p<0.05). Les patients cachectiques (selon la définition de Fearon) par contre, n’étaient pas différents des autres. Dans un modèle de régression multiple, les adipokines augmentaient entre autres significativement avec l’âge (adiponectine, p=0.008), l’index de masse corporelle (leptine, p<0.001) et la ghréline était, entre autres, inversement associée à la masse musculaire (p=0.007). La mortalité des patients était surtout expliquée par le taux d’IL-6, marqueur inflammatoire du vieillissement, et de la croissance tumorale (HR 1.04, CI95% 1.02-1.06, p<0.001).Vu le caractère transversal de cette première étude, et la grande diversité de cancers solides inclus, le travail s’est poursuivi par une étude prospective d’un an à l’hôpital Erasme, incluant 50 patients de 65 ans et plus et présentant un cancer gastro-intestinal. L’objectif était de suivre l’évolution de la sarcopénie (la masse musculaire a été analysée par mesure de l’aire musculaire squelettique en L3 au CT scanner abdominal) évaluée selon les critères de 2018 de l’European Working Group on Sarcopenia of Older People) , de l’état nutritionnel, et de la cachexie. Nous avons observé que 42% présentaient une sarcopénie probable, et 8% une sarcopénie sévère. Les patients étaient à risque de dénutrition, 60% présentaient des stades avancés et 32% étaient cachectiques. En un an, les 35 patients ayant survécu ont présenté une prévalence croissante de sarcopénie et de sarcopénie sévère, de 11% et 17% respectivement (p<0.001), qui se caractérisaient principalement par une perte de force musculaire dans les 6 premiers mois et de masse musculaire dans les 6 mois suivants. L’état nutritionnel est resté stable, et la cachexie n’a pas augmenté significativement. Les seuls facteurs indépendamment associés à la mortalité à un an étaient le stade avancé du cancer (HR 6.5 (CI95% 2.12-20.13) et la qualité de vie évaluée par le score SarQol (HR 0.95 (CI95% 0.92-0.98), p=0.004).Sur base de ces observations, nous souhaitons poursuivre nos recherches par la mise en œuvre d’une évaluation systématique de la masse musculaire en routine clinique, en collaboration avec gériatres, oncologues et radiologues. Ceci pourrait être réalisé pour de nombreux cancers, sans devoir recourir à des examens supplémentaires à ceux réalisés en routine clinique. Le suivi de la masse musculaire, de la force musculaire, des performances physiques, et de la qualité de vie, permettrait d’étudier de nouveaux protocoles de traitements anti-cancéreux qui tiendraient compte de la sarcopénie. De même, le suivi des « survivants » du cancer revêt toute son importance, et devrait aussi faire l’objet d’un suivi musculaire, fonctionnel et nutritionnel.