Article révisé par les pairs
Résumé : Au tournant du siècle, les scientifiques et les aliénistes, dans leurs recherches sur les origines de la folie, vont commencer à s’intéresser à un phénomène pour le moins curieux à savoir les « phénomènes médiumniques » . La seconde moitié du XIXe siècle a, en effet, été marquée par l’émergence d’un nouveau courant qui remet en question les frontières entre réel et irréel, entre naturel et surnaturel, entre raison et folie : le spiritisme . Au-delà de la doctrine, ce qui va intéresser les savants c’est l’état particulier dans lequel se mettent les médiums lors des séances. Ils y voient les origines d’une certaine forme de démence telles que le dédoublement de la personnalité, une forme d’automatisme et des hallucinations. En effet, les facultés particulières des médiums, essentiellement des femmes, étaient souvent assimilées par les détracteurs de la doctrine comme les symptômes évidents d’une forme de délire hallucinatoire et automatique voire d’hystérie . Ce qu’on a alors appelé la « Folie spirite » a fait couler beaucoup d’encre et a créé un véritable débat entre la communauté scientifique (psychologues, aliénistes) et les spirites de l’époque. Cette querelle sur l’origine des phénomènes s’est cristallisée autour de la figure du médium et de ses facultés particulières. Les hallucinations auditives, visuelles, les apparitions, la glossolalie, etc. deviennent en eux-mêmes objets de débat et constituent pour les uns les symptômes évidents d’une dégénérescence mentale et, pour les autres, les preuves irréfutables de l’existence des esprits et de leurs manifestations tangibles ici-bas. Allan Kardec, le fondateur de la doctrine, définit d’ailleurs lui-même les hallucinations comme une « erreur, illusion d’une personne qui croit avoir des perceptions qu’elle n’a pas réellement ». Il rajoute « les phénomènes spirites qui proviennent de l’émancipation de l’âme prouvent que ce que l’on qualifie d’hallucination est souvent une perception réelle […] provoquée par un état anormal, en effet des facultés de l’âme dégagée des liens corporels […] Quand on ne sait comment expliquer un fait psychologique, on trouve simple de le qualifier d’hallucination » .Ce qui nous semble intéressant, c’est qu’il existe toute une production littéraire particulière, et pour grande part féminine, qui joue sur les frontières entre réel et irréel, conscient et inconscient, lucidité et folie, à savoir la littérature médiumnique . Ce qu’on appelle la psychographie dite directe, c’est-à-dire l’écriture par le médium même sous la dictée d’un ou plusieurs esprits. Dans sa médiumnité, il ou elle retranscrit ses visions et les voix intérieures. L’hallucination n’est plus alors une thématique propre à une littérature fantastique, elle devient pour la littérature médiumnique le moteur même, la source par excellence de cette littérature si particulière. La création sous influence est tout à fait intéressante à interroger sous l’angle psychologique et littéraire. Comme le rappelle Michel Thévoz, « de nombreuses études psychanalytiques ont montré que l’inspiration artistique est assimilable à une sorte de délire » . Les exemples abondent et mériteraient une analyse plus approfondie du phénomène : du cycle « romanesque » royal , hindou et martien de la médium Hélène Smith en passant par La médiumnité au verre d’eau de la médium Antoinette Bourdin qui retranscrit les mondes particuliers par lesquelles elles voyagent, pour terminer avec Les lettres de l’Esprit Salem-Hermès de Lucie Grange. L’hallucination devient dès lors le terreau fertile à l’imagination de ces femmes et leur permet de rêver une vie d’aventure qu’elles ne peuvent prétendre avoir ici-bas. Ces médiums partagent des points communs comme une profonde solitude et une furieuse envie de transcender les barrières sociales et genrées et changer profondément le monde dans lequel elles évoluent.