Résumé : La Cour pénale internationale (ci-après "la CPI") est souvent présentée comme la "cour des victimes". Le Statut de Rome a en effet constitué une première étape cruciale dans la reconnaissance d’un statut et de droits pour ces dernières en droit international pénal. Le dévouement de la Cour envers les victimes est cependant contesté dans la littérature, par la société civile et les victimes elles-mêmes. Cette recherche s’attache donc à déterminer ce que la CPI a concrètement fait pour/des victimes. Notre argument est double. Dans une première partie, nous avons voulu évaluer ce que la CPI a fait pour les victimes. Une analyse de la jurisprudence de la CPI nous a amené à tempérer le discours dominant sur les victimes et la justice pénale internationale. Si au début, les juges étaient assez enthousiastes et interprétaient de manière extensive les dispositions concernant les victimes, cette tendance a rapidement fait place à une approche plus restrictive. L’effort de la CPI pour mettre en œuvre les droits des victimes implique que la participation et la réparation sont plus symboliques que significatives. La pratique de la Cour est progressivement guidée par l’efficacité. Qu’est-ce qui explique ce recul ? Pour citer la Chambre de première instance I, la justice pénale internationale n’est plus (considérée comme) uniquement punitive. Dans de nombreux cas, les juges ont considéré que les droits des victimes à la vérité, à la justice, à un recours effectif, à la réparation devaient guider l’action de la Cour. La majorité de ces droits, cependant, n'existent pas dans les textes qui guident l'activité de la Cour. Le concept de "justice pour les victimes" est plutôt le résultat d’une fertilisation croisée entre plusieurs champs, parmi lesquels le droit pénal international, la justice transitionnelle et le droit international des droits humains. Les droits à la justice, à la vérité et à la réparation transcendent désormais chacune de ces disciplines. L’influence du concept de "justice pour les victimes" sur la jurisprudence de la CPI n’explique pas seulement la vague enthousiaste d'interprétations des droits des victimes, mais aussi le ressac qui a suivi. Étant donné la nature du droit (international) pénal, chercher à intégrer des paradigmes traditionnellement étrangers – comme la "justice pour les victimes" – peut s’avérer complexe. C’est, à notre avis, la raison pour laquelle le statut et les droits des victimes ont d’abord été interprétés de manière extensive, puis de manière restrictive par la CPI. Cela signifie-t-il que la "justice pour les victimes" n’a eu aucun impact sur la Cour pénale internationale, et plus largement sur la justice pénale internationale ? Notre opinion est que si la CPI a fait quelque chose pour les victimes, cela se révèle principalement à la périphérie des procédures pénales. C’est la seconde partie de notre argumentation. Au fil des ans, les victimes sont maintenant une importante source de légitimité pour la Cour et la justice internationale pénale en général. Les juridictions pénales internationales doivent, de nos jours, faire quelque chose pour les victimes, ou du moins apparaître comme le faisant. Et c'est plutôt en périphérie des procédures pénales que la "justice pour les victimes" trouve un sens. Des organes extrajudiciaires – tels que le Greffe et le Fonds au profit des victimes – et des organes externes – tels que les intermédiaires et les ONG – sont investis de la tâche de rendre justice aux victimes. Au-delà de cette périphérisation apparente de la justice aux victimes, l'étude de la documentation qui s'y rapporte illustre la prépondérance croissante de pratiques et discours promouvant la productivité et un meilleur rapport "coût-efficience".