Résumé : Ce travail propose une théorie générale de l'interface entre deux dimensions du fait musical : sa dimension sémantique (les significations que la musique peut contenir) et sa dimension pragmatique (ses usages en contexte). Cette théorie se situe dans une perspective naturaliste, au carrefour de trois disciplines : la philosophie de l'esprit, la psychologie cognitive et la musicologie historique. Elle part du postulat que la sémantique et la pragmatique de la musique sont des cas particuliers de certaines normes universelles (par exemple la norme de vérité) et certaines dispositions cognitives et sociales de l'être humain, pour l'essentiel non spécifiques à ce qu'on appelle la musique, l'art et l'esthétique. La première partie trace les grandes lignes de la théorie. Elle se fonde sur les travaux du linguiste et philosophe Philippe Schlenker. On y défend deux thèses principales : une thèse sémantique et une thèse pragmatique. La thèse sémantique soutient que toute signification musicale est indexicale, c'est-à-dire que toute signification musicale consiste dans le fait d'attribuer à une unité formellement cohérente de sons musicaux un ensemble de causes probables. Ces causes probables des sons musicaux peuvent être des entités réelles et/ou fictives, des entités objectives et/ou subjectives, des entités productrices de son ou non. Dans tous les cas, ces entités sont situées dans le contexte d'écoute de la musique, et la musique les « indique » à l'auditeur (d'où le terme « indexical »). Ces entités sont alors tenues pour être les contenus indexicaux vrais ou faux de la musique. La thèse pragmatique soutient que toute communication en musique consiste à organiser intentionnellement (y compris à distance, via des dispositifs de médiation adéquats, tels que des programmes, des techniques et lieux d'écoute, des rituels et autres conventions) la relation entre la musique composée/interprétée d'une part, et le contexte effectif ou supposé où cette musique sera perçue d'autre part, de sorte à maximiser la pertinence des significations indexicales, vraies ou fausses, inférées de l'écoute musicale dans ce contexte. La seconde partie du travail approfondit ces thèses en étudiant en détail trois phénomènes sémantico-pragmatiques suffisamment riches et complexes : la fiction, la narration et l'évocation. Cette seconde partie est bâtie sur l'analyse de trois poèmes symphoniques de Franz Liszt (Hamlet, Tasso et Mazeppa). Elle est ancrée dans le contexte de la querelle entre la musique à programme et la musique pure, qui a agité les milieux musicaux au XIXe siècle autour des mêmes problématiques que celles de ce travail.
This PhD aims to build a general theory of the interface between two dimensions of music : its semantic dimension (i.e. the meaningful nature of music) and its pragmatic dimension (i.e. the uses of music in context). The theory is grounded in a naturalistic perspective, at the intersection of three disciplines : philosophy of mind, cognitive psychology and historical musicology. The basic premise is that semantics and pragmatics of music are just particular cases of certain universal norms (i.e. the norm of truth) and certain social-cognitive dispositions of the human being, essentially non specific to what is usually called music, art or æsthetics. The first part outlines the main aspects of the theory, building on the work of linguist and philosopher Philippe Schlenker. We defend two claims : a semantic one and a pragmatic one. The semantic claim is that every musical meaning is indexical. In other words, a musical meaning is the set of possible causes attributed to a formally coherent unit of musical sounds, be they real and/or fictional causes, objective and/or subjective causes, sound producing or not sound producing causes. In any case, these possible causes are entities that are located within the listening context and are “indicated” by the music to the listener (hence the use of the word “indexical”). The entities that have possibly caused the musical sounds are, then, considered to be the true or false indexical content of the music. The pragmatic claim is that communication in music consists in organizing intentionally (including indirectly, at a distance, by means of relevant devices, such as programs, listening technologies, performance places, rites and other conventions, etc.) the relation between the composed and/or performed music and the supposed or effective context where the music would be listened, in order to enhance as much as possible the relevance of the true or false indexical meanings, inferred from the musical listening in this context. In the second part, the two hypotheses are further investigated by focusing on more complex semantico-pragmatic issues. We propose an in-depth analysis of three phenomena : fiction, narration and evocation. This three-part study is based on a detailed analysis of three symphonic poems by Franz Liszt (Hamlet, Tasso and Mazeppa). It is also grounded in the context of a central episode of 19th Century musical life : the quarrel between program music and pure music about the same semantic and pragmatic issues.