Thèse de doctorat
Résumé : Les insectes eusociaux sont particulièrement exposés aux risques sanitaires. La vie dans un milieu confiné, le regroupement d’individus à de hautes densités se contactant fréquemment ainsi qu’une forte parenté génétique sont autant de facteurs propices à la transmission de maladies. Toutefois, les insectes eusociaux ont mis en place, au cours de l’évolution, des défenses collectives leur permettant de se protéger contre les parasites, regroupées sous le terme d’immunité sociale. Alors que de nombreuses études ont montré la capacité de ces insectes à détecter et à résister aux pathogènes, nos connaissances sur les stratégies permettant de limiter leur entrée à l’intérieur de la colonie sont limitées et parfois contradictoires.L’objectif de cette thèse est d’étudier les stratégies sanitaires d’évitement développées par les fourmis de l’espèce Myrmica rubra dans le cadre de l’exploitation de ressources alimentaires, lorsqu’elles sont mises en présence d’un champignon entomopathogène généraliste, Metarhizium brunneum. La spécificité de cette thèse est également d’étudier l’impact du stade de développement du champignon sur les comportements d’évitement exprimés par les fourmilières.Nous avons montré l’existence de plusieurs filtres permettant de contrôler la qualité sanitaire de la nourriture entrant dans le nid. La décision de récolte individuelle des fourrageuses dépend du stade de développement du champignon. Celles-ci ne montrent pas d’évitement face à une proie simplement couverte de spores mais refusent systématiquement de collecter une proie où le champignon a développé des structures sporulantes externes. Curieusement, lorsque le champignon a tué son hôte mais ne s’est pas encore développé à l’extérieur, la décision de prise diffère selon les ouvrières suggérant une variabilité interindividuelle dans le seuil de détection du parasite.À l’échelle collective, un deuxième filtre opère à l’intérieur du nid où les proies tuées par le champignon qui ont été collectées par les fourrageuses, sont rapidement rejetées à l’extérieur de la colonie par les ouvrières du service interne. En revanche, les proies simplement couvertes de spores amenées à l’intérieur sont inspectées et manipulées avant leur consommation par les ouvrières.De façon inattendue, une forte concentration en spores entomopathogènes dans l’aire de fourragement n’influence pas la récolte d’une source alimentaire saine, que cela soit à l’échelle individuelle ou collective. Ces résultats soulignent que la décision d’exploiter ou non une proie peut être influencée par la qualité sanitaire de la nourriture mais n’est pas liée à celle de l’environnement.Enfin, nous nous sommes intéressés aux facteurs pouvant influencer la gestion des déchets tels que leur pathogénicité et la présence du couvain à l’intérieur du nid. Le rejet accéléré des déchets infectieux, notamment en présence du couvain, limite la mortalité coloniale et témoigne d’un contrôle sanitaire plus strict dans le nid en présence de larves.En conclusion, cette étude démontre la capacité des colonies de fourmis à réguler et à contrôler la qualité sanitaire de ressources alimentaires entrant dans le nid. Les stratégies d’évitement participant à l’immunité sociale sont complexes et semblent être assujetties à de nombreux facteurs, tels que le stade de développement du champignon, l’écologie de l’espèce et la coévolution avec le pathogène. Des études comparatives menées sur d’autres couples hôte-pathogène nous permettront de comprendre quels facteurs ont façonné la diversité des stratégies d’évitement et comment ils ont contribué à l’évolution de l’immunité sociale chez les insectes eusociaux.