Résumé : Depuis l’adoption de la Directive Qualification en 2004 et de sa refonte en 2011, l’Union européenne reconnaît explicitement les persécutions du fait de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre en tant que motif d’octroi du statut de réfugié∙e, selon le critère de l’appartenance à un certain groupe social. Cependant, il existe toujours des différences considérables dans la manière dont les États européens examinent les demandes des personnes invoquant ce type de persécutions, ce qui contrevient à la volonté marquée de l’UE d’atteindre un Régime d’asile européen commun. Dans cette thèse je propose de suivre le processus de fabrique de la nouvelle catégorie de « réfugié∙e LGBTI » en Belgique, en France et au Royaume-Uni afin d’apporter une explication au fait que malgré les pressions d’harmonisation de l’Union européenne, les contours de cette catégorie de réfugié∙es diffèrent d’un État européen à l’autre. M’inscrivant dans la suite des travaux qui proposent d’aborder le processus d’action publique à partir de l’interdépendance entre les institutions et les idées, je suggère d’appréhender la fabrique de la catégorie de « réfugié∙e LGBTI » en tant que processus de traduction multi-niveaux engendré par les logiques positionnelles (institutions) et les logiques interprétatives (idées) d’acteurs en interactions. Pour ce faire, je développe les notions de « configuration des arènes de traduction » et de « paradigme de traduction » qui me permettent de capturer et de suivre les logiques positionnelles et interprétatives des acteurs tout au long du processus de traduction (genèse, stabilisation et verrouillage). La configuration des arènes de traduction correspond à la somme des institutions formelles et informelles qui contraignent les acteurs dans les trois arènes où s’opère la traduction de la catégorie de « réfugié∙e LGBTI » : l’arène administrative, l’arène associative et l’arène judiciaire. Le paradigme de traduction correspond à l’espace de sens à travers lequel les acteurs impliqués dans le processus de traduction interprètent la catégorie de « réfugié∙e LGBTI ». Il est composé de trois éléments : la définition du problème, la solution politique et l’univers de discours. La démarche proposée permet quatre principaux apports, à la fois d’ordre empirique et analytique. D’une part, pour ce qui est des apports empiriques, mon approche permet d’articuler plusieurs niveaux de gouvernement (international, européen et national). Elle permet également d’apporter une profondeur historique à l’analyse. D’autre part, pour ce qui est des apports analytiques, ma démarche permet d’articuler plusieurs niveaux d’analyse (institutions et idées). Elle permet également d’articuler plusieurs temporalités du changement de l’action publique (moyenne et longue). La présente recherche fait deux principales contributions : à la littérature en politiques publiques sur le changement et à celle en études migratoires queer sur l’homonationalisme. D’une part, en proposant de saisir le changement en tant que processus de traduction, ma démarche permet de dépasser les dichotomies latentes entre changements lents et marginaux versus changements radicaux et rapides. Elle permet également de dépasser la dichotomie entre pressions exogènes et pressions endogènes du changement. D’autre part, en prenant au sérieux l’interdépendance entre les institutions et les idées dans la constitution d’une communauté nationale qui intègre les minorités sexuelles, elle suggère de regarder au-delà de l’homonationalisme tel que conceptualisé aujourd’hui pour comprendre la manière dont la frontière entre « nous » et « eux » s’érige. Cette frontière n’est pas la même d’un État à l’autre et se révèle être peu stable, évoluant d’une phase à l’autre du processus d’action publique. Une telle perspective propose ainsi une troisième voie analytique qui se distingue d’une part des tenants du discours de la libération sexuelle et d’autre part de ceux de l’impérialisme sexuel.