Résumé : La Trypanosomiase Humaine Africaine (THA) ou maladie du sommeil est une pathologie parasitaire provoquée par un protozoaire du genre Trypanosoma. Ce parasite est transmis à l’homme par la piqûre de la glossine, la mouche tsétsé. Deux sous-espèces de trypanosome sont pathogènes pour l’homme: le T. brucei gambiense et le T. brucei rhodesiense. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) considère la THA comme une des Maladies Tropicales Négligées, ciblée pour élimination comme problème de Santé Publique en 2020. Le but à atteindre au niveau mondial a été défini à l’époque comme moins de 1 cas détecté par 10,000 habitants par an dans > 90% des foyers endémiques et moins de 2.000 cas déclarés globalement, avec l’ambition d’arrêter la transmission de l’infection vers l’humain d’ici 2030. Ces objectifs ont été adoptés dans la London Declaration sur les NTDs de 2012, sous les auspices de l’OMS, et reconfirmés en 2017. Tous les pays endémiques de la THA ont adopté ces objectifs et ont inscrit l’élimination dans leur politique nationale de lutte contre la THA.La principale stratégie de lutte contre la THA est la détection précoce suivie du traitement. Cette détection peut se faire de manière active ou passive. La lutte antivectorielle constitue une stratégie complémentaire. Le dépistage passif (DP) de la THA dans les services des soins de santé primaires (SSP) représente toujours un défi majeur. En République Démocratique du Congo (RDC), le processus d’intégration du DP dans les services des SSP a commencé vers la fin des années 90, sans aboutir complètement. Les multiples obstacles à l’intégration du DP de la THA empêchent que cette stratégie puisse contribuer de manière optimale à l’élimination de la THA. Entretemps, la situation épidémiologique de la THA et l’état des structures sanitaires du pays ont complètement changé. Notre question de recherche principale tournait autour du bilan de cette intégration du DP en service des SSP à l’heure actuelle. Notre hypothèse de recherche était que la détection passive de la THA pourrait être améliorée par l’utilisation et l’intégration des TDR-THA dans les services des SSP et contribuer ainsi au contrôle de la THA dans la perspective de son élimination en RDC, mais sous des conditions à déterminer. La connaissance de ces conditions – favorisantes ou défavorisantes – permettra de mieux opérationnaliser la détection passive de la THA.Cette thèse a comme objectif général de contribuer à nos connaissances sur le processus et le bilan actuel de l’intégration de certaines activités de la détection passive de la THA dans les services des SSP dans la perspective de son élimination en RDC. Au total, quatre études ont été réalisées afin de mieux comprendre et cerner les facteurs influençant le processus d’intégration du DP de la THA. Nous avons d’abord fait un ‘scoping literature review’ pour dresser le bilan des connaissances actuelles (jusqu’en 2017) sur l’intégration de certaines activités de lutte contre la THA. Cela a permis de cerner les éléments contributifs à l’amélioration de cette prise en charge en RDC. Trois autres études originales ont été réalisées pour documenter les facteurs pouvant influencer le processus d’intégration du DP de la THA dans les services des SSP. Une première étude observationnelle a permis de décrire six zones de santé (ZS) endémiques à la THA du point vue organisation des services des SSP et d’analyser l’évolution de l’endémicité de la THA dans ces ZS sur la période de 2013 à 2017. Deuxièmement, nous avons réalisé une étude qualitative pour explorer les perceptions de la communauté, des prestataires des soins, des décideurs sanitaires et des partenaires de la santé sur l’intégration du DP de la THA. La troisième étude était une recherche opérationnelle sur l’intégration du DP de la THA aux moyens de nouveaux outils de dépistage dans trois ZS endémiques de la THA.Nous avons analysé les données des différentes études de ce travail à l’aide d’un modèle conceptuel d’analyse des interventions ciblées dans le système de santé et nous avons développé des recommandations stratégiques et opérationnelles pour améliorer ce processus.Les principales raisons en faveur de l’intégration de certaines activités de lutte contre la THA sont liées à la couverture, au coût, à la qualité du service, et à la durabilité. Trois facteurs ont influencé le processus d'intégration de certaines activités de lutte contre la THA, à savoir l'évolution clinique de la THA, l'organisation des services des soins de santé primaires et l’innovation technologique dans les outils de dépistage et de diagnostic ainsi que dans les outils thérapeutiques. L’évolution épidémiologique de la THA n’a pas changé depuis les années 90, mais les cas se font beaucoup plus rares, ce qui rend le maintien de l’expertise difficile. Dû au sous-financement, le fonctionnement des services SSP a beaucoup souffert. Il y a eu cependant des bonnes nouvelles sur le plan technologique. Depuis peu, le système de santé dispose d’un test rapide, le TDR-THA, facilement utilisable dans les structures périphériques de santé. Début de cette année 2020, le fexinidazole, un médicament oral utilisable pour les deux stades de la maladie, est enregistré en RDC et fera partie de la politique nationale. Cependant, il nécessite 10 jours d’administration, et chaque prise doit être accompagnée d’un repas hypercalorique. Il n’est pas non plus totalement efficace s'il y a > 100 globules blancs/ μl dans le liquide céphalo-rachidien. Beaucoup d’espoir est investi maintenant dans l’acoziborole, un médicament toujours sous-développement clinique, qui serait à prise unique orale. L’étude descriptive des six zones de santé endémiques de la THA a été menée en 2015 et portait sur l’état de préparation logistique et opérationnelle de ces zones pour prendre en charge le DP. En plus, l’analyse de l’endémicité et de l’évolution de la THA dans toutes les Zones de Santé endémiques (ZSE) était réalisée sur les données épidémiologiques récoltées à partir de l’année 2013 jusqu’en 2017. Les résultats ont montré que l’organe de gestion, c’est-à-dire l’équipe-cadre de ZS, était fonctionnelle, c’est-à-dire présente et active, dans les six zones. En revanche, les services des SSP présentent de multiples insuffisances en ressources humaines qualifiées et en ressources matérielles ou financières. L’analyse de l’endémicité avait révélé une évolution décroissante du nombre de nouveaux cas rapportés de la THA en RDC chaque année entre 2013 et 2017. A noter que le niveau d’intensité du dépistage n’a pas été le même partout, et dépendait du niveau d’endémicité. Les ZS considérées encore endémiques par le Programme National de Lutte contre la THA (PNLTHA) selon les critères de l’OMS en 2013 dans les provinces de Bandundu et du Kasaï oriental ont été réduit en 2017 respectivement au nombre de 13, soit une réduction de 70% [(43/43) - (13/43) ZSE] et de 16, soit une réduction de 59% [(39/39) - (16/39) ZSE]. L’OMS a remplacé dans l’indicateur actuel pour les pays le concept « foyer » par « zone de santé ». Ainsi l’objectif 2020 a été défini comme la réduction de 90% des ZS déclarées endémiques de THA par rapport au chiffre de 2004.Dans l’étude qualitative de la perception de l’intégration du DP de la THA, les résultats ont montré que la communauté était généralement favorable aux soins intégrés pour le diagnostic et le traitement de la THA, tout en craignant d'éventuels obstacles financiers qui pourraient entraver l’accès aux soins THA. Les professionnels de santé pensent que l'intégration de certaines activités de lutte contre la THA contribue à l'objectif d'élimination, mais ils ont identifié plusieurs problèmes de mise en œuvre, tels que le manque de compétences du personnel, d'équipement, de la prime et de ressources financières dans ces services des SSP. La recherche opérationnelle nous a permis de documenter les facteurs favorisants et les obstacles à l’intégration du DP dans les services des SSP aux moyens du Test de Dépistage Rapide (TDR). Cette étude a aussi été réalisée dans trois ZS endémiques de la RDC. L’étude a montré un taux des TDR THA positifs de 2,2% à Yasa Bonga, 2,9% à Kongolo et 3% à Bibanga, tandis que la proportion des personnes déclarées séropositives ayant subi un examen de confirmation parasitologique était respectivement de 76%, 46% et 68%. Les perdus de vue sont majoritairement des cas séropositifs qui n’ont pas adhéré à la référence au centre de confirmation parasitologique. Les principales raisons de ce refus, évoquées lors des interviews des patients et des professionnels, sont la distance, la rupture de stock en TDR, le manque d'équipement de dépistage de base, les obstacles financiers (frais d'hospitalisation supplémentaires non inclus dans le traitement gratuit), la crainte d'une ponction lombaire et la perception de la THA comme une maladie d'origine surnaturelle. Les études présentées dans cette thèse ont généré de nouvelles connaissances sur les facteurs favorisants et les obstacles dans le processus d’intégration du DP de la THA dans les services des SSP en RDC, afin d’améliorer le processus d’intégration du DP existant. Les conditions reprises dans cette thèse devraient être réunies chaque fois que cette intégration est envisagée. L’avenir de la THA va dépendre fortement des ressources qui seront investies après l’atteinte des cibles OMS, vu que la tendance à la recrudescence est très forte. Les autorités sanitaires du pays ainsi que les partenaires, sont fortement encouragées à revoir et adapter les stratégies de contrôle et de surveillance de la THA au contexte nouveau et à mobiliser les ressources nécessaires pour mieux organiser la lutte contre la THA afin d’espérer atteindre les objectifs d’élimination et de s’assurer durant la période post-élimination que la THA ne va pas resurgir.