Résumé : Cette thèse se concentre sur les développements de la société juive belge dans la période avant 1940. La communauté juive belge, telle qu'elle s'est développée au cours des XIXe et XXe siècles, est le résultat d'une succession de "vagues migratoires juives". Contrairement aux autres communautés juives d'Europe occidentale comme celles de France, d'Allemagne, de Grande-Bretagne ou des Pays-Bas, la population juive belge n'avait pas de racines historiques fortes ni de tradition historique établie. Un premier " mouvement de migration juif " (1815-1880) a créé les bases du Judaïsme Consistorial belge. Ces migrants juifs de France, des Pays-Bas et d'Allemagne se sont installés en Belgique et ont créés les fondations institutionnelles du Judaïsme belge. Les élites du Consistoire, partisanes de l'acculturation du rite et de la culture juifs à la société européenne non juive, ont préconisé une intégration profonde de la population juive et ont refusé toute forme de particularisme juif en dehors de la sphère religieuse. Cette idéologie patriotique restera la pierre angulaire d'une petite population juive bien intégrée, estimée à environ 4 000 personnes en 1880. Jusqu'à une bonne partie du XXe siècle, ce petit groupe de "juifs belges" restera le "gardien" de la communauté religieuse juive officielle de la capitale, la Communauté Israélite de Bruxelles.Une nouvelle vague d'immigrants juifs à la fin XIXe siècle pousse la trajectoire historique de la communauté juive belge dans de nouvelles directions et va entraîner une énorme diversification de la société juive belge. A partir des années 1880 et surtout après 1906, des milliers d'immigrants juifs d'Europe de l'Est s'installent en Belgique, attirés par les opportunités économiques ou comme " escale temporaire " sur leur chemin vers l'Amérique. Ce processus s'est répété après la Première Guerre mondiale, lorsque le mouvement d'émigration des Juifs d'Europe de l'Est a repris après la fin de la guerre. Le "premier" (1982-1914) et le "second" (1914-1930) mouvement migratoire juif d'Europe de l'Est a entraîné une croissance énorme de la population juive belge. En 1930, la population juive en Belgique était estimée à environ 50.000 personnes.L'arrivée de migrants juifs d'Europe de l'Est a entraîné une transformation radicale de la société juive belge. De nouvelles formes de religiosité juive, de nouvelles visions culturelles et politiques ont émergé. Une " classe ouvrière " juive urbaine s'est installée dans des métiers artisanaux semi-industriels tels que l'industrie du diamant, ou a trouvé du travail dans des emplois flexibles et mal payés dans l'industrie de l'habillement et dans diverses branches de l'industrie du cuir, souvent dans de petites entreprises dirigées par leurs coreligionnaires déjà établis. Des partis ouvriers juifs et un "mouvement syndical" juif ont tenté d'organiser ces "masses juives", de défendre leurs intérêts, de les intégrer dans le mouvement ouvrier belge et de promouvoir de nouvelles formes d'identité juive laïque. Un fort mouvement national juif a tenté d'élever le sionisme et le projet national juif en Palestine au rang de point d'ancrage d'une nouvelle identité juive, mais il s'est heurté à la résistance à la fois du "Judaïsme belge" établi, de la forte section juive du parti communiste belge et d'une grande partie de l'orthodoxie religieuse juive. Néanmoins, au cours des quatre décennies qui ont précédé le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, le sionisme a gagné en importance. Toutes ces différentes tendances au sein de la société juive belge ont tenté de gagner de l'influence et de l'autorité dans la rue juive ou dans les institutions officielles du Judaïsme belge. Avec l'installation des immigrants juifs d'Europe de l'Est, le difficile processus d'intégration dans la société belge a également commencé. Leur bagage idéologique, transplanté du monde juif d'Europe de l'Est, a été progressivement adapté et configuré pour apporter des réponses aux circonstances et défis spécifiques rencontrés par la communauté juive en Belgique. La crise économique des années 1930, la montée du national-socialisme en Allemagne et l'émergence concomitante d'un antisémitisme local organisé dans la société belge dans la seconde moitié des années 1930 ont secoué la société juive. L'appauvrissement croissant de larges pans de la population juive, combiné à l'afflux de milliers de réfugiés juifs d'Allemagne et d'Autriche, a fait exploser les contradictions au sein de la communauté juive.Ce sont ces processus de formation de l'identité juive "belge" et la manière dont les différents acteurs de la communauté juive ont réagi à des événements historiques spécifiques de la première moitié du vingtième siècle que cette thèse explore.