par Assan, Nathalie
Editeur scientifique HELMER, Etienne E. H.
Référence Mendiants et mendicité en Grèce ancienne, Garnier, Paris, Vol. 1, Ed. 1, page (91-117)
Publication Publié, 2020-02-19
Partie d'ouvrage collectif
Résumé : Le mendiant est un personnage omniprésent chez les poètes tragiques, en particulier chez Euripide qui l’introduit très tôt et avec beaucoup d’accessoires, de haillons et d’ustensiles dérisoires. A-t-il pour autant posé les normes de la représentation théâtrale de ce personnage ? Il n’en est rien, comme le montre le cas de Sophocle qui, dans l’Œdipe à Colone, son unique pièce à mendiant, renouvelle en profondeur les moyens de convoquer sur scène la mendicité : aux accessoires théâtraux, il substitue la parole poétique et la scénographie verbale. Mais d’Euripide à Sophocle, la représentation du mendiant ne fait-elle que changer de moyens, sans rien impliquer de neuf, quant à la vision qui en est proposée ? Loin d’être seulement technique, la transformation que Sophocle fait subir à la représentation du mendiant engage le sens qu’il donne à ce personnage et à sa condition. La mendicité est désormais liée à l’hospitalité, thème central des tragédies de l’accueil, qui mettent traditionnellement en scène un exilé, poursuivi ou persécuté par des ennemis et accueilli ou aidé par une cité amie (Argos dans Les Suppliantes d’Eschyle, Athènes dans Les Suppliantes d’Euripide, Athènes et Marathon dans Les Héraclides). Quel lien Sophocle tisse-t-il donc entre la mendicité et l’accueil fait aux suppliants ? À première vue, la mendicité, par l’intermédiaire de la quête, présente des similitudes avec le rite de supplication qui est un motif très important dans les tragédies de l’accueil, faisant l’objet de scènes typiques dans lesquelles l’exilé supplie à genoux la cité bienfaitrice de lui donner l’hospitalité ou de lui venir en aide. Pourtant, s’il politise le motif de l’errance, Sophocle n’exploite pas la contiguïté thématique entre le vocabulaire de la quête et celui de la supplication. Le motif de la mendicité a donc une autre fonction. Pour la découvrir, on examinera pour finir le contexte rhétorique dans lequel Œdipe ou Antigone sont assimilés à des mendiants. Ces évocations de la vie clocharde d’Œdipe et Antigone sont toujours insérées dans des passages qui veulent susciter la pitié, et sont le plus souvent développées par leurs adversaires dans un but rhétorique précis. Au contraire, dans les propos de Thésée, Œdipe n’est jamais assimilé à un mendiant, mais au contraire à un hôte. Pourquoi quête et aumône sont-elles complètement évacuées du discours athénien ? Œdipe est soumis au principe de réciprocité, qui, en échange de la dernière demeure qui lui est offerte sur le sol de Colone, donne le pouvoir propitiatoire de son pauvre « corps » (δέμας, 576) meurtri, un « cadeau qui n’est pas fier à voir » (δῶρον οὐ σπουδαῖον εἰς ὄψιν, 577) mais dont « le bénéfice est bien supérieur à une belle apparence » (κέρδη παρ’αὐτοῦ κρείσσον’ἢ μορφὴ καλή, 578). Celui qui n’était qu’un mendiant importun, devient pour Athènes un hôte bienfaiteur, dont les prodigalités ne sont réservées qu’à la cité qui accepte de l’accueillir.