Résumé : La malnutrition reste un problème de santé publique dans les pays en développement comme le Burkina-Faso et le Mali. L’approche communautaire de prise en charge de la malnutrition aiguë est une stratégie innovante facilitée par la mise au point de l’aliment thérapeutique prêt à l’emploi (ATPE) et l'utilisation d'un outil de dépistage adapté au niveau communautaire à savoir la mesure du périmètre brachial. L’approche a facilité une couverture large de l’accès au traitement pour les enfants malnutris et une réduction de la mortalité infantile. Cependant l’appropriation et le passage à l’échelle de l’approche sont encore un défi.Les objectifs de ce travail étaient d’évaluer et renforcer l’efficacité de l’approche communautaire, de faciliter son appropriation et son passage à l’échelle et de développer dans le cadre communautaire des interventions soutenables pour agir globalement et de façon intégrée sur la prévention de la malnutrition.Nous avons dans un premier temps réalisé une étude mixte pour évaluer l’efficacité d’un programme de prise en charge commanutaire au Burkina-Fao et pour analyser les conditions de sa mise à l’échelle de manière pérenne. La spécificité de ce programme communtaure pilote, qui le distingue des autres de prise en charge intégrée de la malnutrition aiguë (PCIMA) habituellement observés, était sa forte composante communautaire. Une étude de cohorte rétrospective a permis d’analyser les taux de rechutes de malnutrition aiguë parmi les enfants admis et sortis guéris du programme communautaire. Une autre étude a évalué l’intérêt de farines infantiles produites dans les ménages ruraux pour la couverture des besoins nutritionnels des nourrissons et jeunes enfants au Burkina-Faso. Elle nous a conduit à proposer un essai communautaire d’évaluation des suppléments en micronutriments multiples comme moyen de couverture des besoins en micronutriments au Mali.Une étude qualitative a enfin été proposée pour analyser les barrières empêchant l’application de recommandations nutritionnelles par les mères au Burkina-Faso.Nous avons montré que l’approche communautaire développée au Burkina-Faso avec la Croix-Rouge de Belgique a été efficace avec un taux de couverture de 90% d’enfants susivis parmi les enfants dépistés, des résultats de la prise (taux de guérison de malanutrition aiguë sévère de 85,6%, taux de décès de 4,2%, taux de perdus de vue de 7%) meilleurs que les normes des programmes humanitaires. Toutefois, l’approche faisait face à des défis de pérennisation en raison de plusieurs barrières dont: une faible intégration au système de santé, des activités non soutenables par le système de santé et une durée de temps insuffisante pour une pérennisation et un passage à l’échelle.Le seul problème identifié par rapport à l’efficacité était le non suivi des enfants sortis guéris du programme communautaire pour s’assurer du maintien d’un bon état nutritionnel.L’étude initiée pour évaluer les rechutes de cas de malnutrition et les facteurs contributifs a permis d’estimer le taux de rechute à 15,4 pour 100 enfants-années. Les enfants incomplètement vaccinés avaient un risque plus élevé de rechutes tout comme les enfants ne consommant pas fréquemment de l’huile dans leur alimentation. L’étude a aussi mis en évidence que les enfants sortis guéris avec un périmètre brachial (PB) en dessous de 125 mm rechutaient plus fréquemment amenant à la recommandation de garder les enfants dans le programme jusqu’à ce qu’ils atteignent ce seuil de PB. Toutefois, améliorer la qualité de leur alimentation au plan calorique et en micronutriments en post-guérison est un objectif à atteindre. Nous avons suggéré que l’évaluation des rechutes soit incluse dans les critères d’efficacité de l’approche communautaire de lutte contre la malnutrition aiguë afin de susciter au niveau des programme un suivi de ces enfants malnutris au-delà de la guérison avec un investissement plus important dans les activités de prévention de la malnutrition.Les bouillies de farines infantiles étant la base de l’alimentation du nourrisson et du jeune enfant (ANJE) tant au Burkina-Faso qu’au Mali, nous avons analysé le profil de farines infantiles produites par les ménages et sélectionnées pour évaluer leur capacité à couvrir les besoins nutritionnels des nourrissons et des jeunes enfants.Parmi les 5 recettes de farines infantiles évaluées au Burkina-Faso, deux (2) ont été sélectionnées après analyse comme étant les plus adaptées pour couvrir les besoins nutritionnels des nourrissons et des jeunes enfants. Elles étaient composées, pour l’une, de petit mil (48%), de haricot (7%), de noix d’arachide (23%), de sumbala (grains fermentées de Parkia biglobosa : 7%), de pain de singe (15%) et pour l’autre de petit mil (48%), de haricot (7%), de noix d’arachide (26%), de petit poisson (4%) et de pain de singe (15%). Si la densité énergétique de ces farines répondait aux normes (430 to 454 kcal/100g, avec 11.5 to 14 g de protéines), il y avait des limites en ce qui concerne les micronutriments en général. L’étude montre la nécessité de sources additionnelles de micronutriments. L’étude réalisée au Mali en vue de mesurer l’effet d’une supplémentation en micronutriments multiples dans le cadre communautaire, a permis d’observer un effet modeste sur l’anémie. En effet chez les nourrissons supplémentés en micronutriments multiples pendant 3 mois, suivant les recommandations de l’OMS, on a observé un gain moyen en hémoglobine de 0,5 g/dl contre 0,09 g/dl dans le groupe non supplémenté. Toutefois la proportion d’anémie n’a été réduite que de 5%. Aucun effet n’a été observé sur la croissance. L’effet modeste de la suppélemntation sur l’anémie peut s’expliquer par le fait que la malnutrition calorique en soi est un facteur contributif à l’anémie et la supplémentation en micronutriments seule ne suffit pas. D’autres facteurs peuvent expliquer l’anémie dans cette région : les parasitoses, le paludisme et les hémoglobinopathies. Plusieurs études montrent en effet des anomalies de l’hématopoïèse chez les enfants souffrant de malnutrition aboutissant à une anémie et à des troubles immunitaires. Or dans notre étude, aucune supplémentation en macronutriments n’a été offerte. On se rend compte de la nécessité d’améliorer globalement l’alimentation des nourrissons et des jeunes enfants : ne plus donner des “calories vides” c’est à dire sans micronutriments et ne pas donner des micronutriments sans un “contenant calorique” c’est à dire sans un apport adéquat en macronutriments. Nous avons lancé une étude visant à identifier les barrières expliquant la faible mise en œuvre des recommandations nutritionnelles pour l’ANJE.Cette étude a montré que les mères avaient souvent l’information correcte concernant le timing et les manières d’alimenter adéquatement leurs enfants mais plusieurs barrières les en empêchaient, notamment les pleurs du nourrisson en lien avec des coliques du nourrisson non connues et mal gérées amenant à alimenter l’enfant avant l’âge de 6 mois avec des aliments autres que le lait maternel ou des tisanes; des pratiques traditionnelles recommandant de donner l’eau aux enfants dès la naissance ; l’influence des grands-mères mal informées; la charge de travail importante des mères ; les tabous alimentaires ; le faible accès aux aliments adéquats et diversifiés et le faible accès à l’eau potable et au savon pour assurer l’hygiène. Pour surmonter ces obstacles, nous avons proposé une approche éducationnelle (DEEP) mettant l’accent sur la sensibilisation des décideurs que sont outre la mère, le mari et la belle-mère, le renforcement des connaissances/compétences de la famille, l’empowerment de la mère renforçant son autonomie et un soutien continu dans la mise en œuvre des pratiques recommandées. Ce soutien sera idéalement un soutien de proximité individualisé en fonction des besoins, à assurer par des agents de santé ou volontaires communautaires. Le Burkina-Faso ayant adopté récemment une politique d’intégration des agents de santé communautaires au système de santé avec une rémunération mensuelle offre l’opportunité de voir cette stratégie être implémentée avec succès. A l’issue de ce travail, l’approche communautaire de lutte contre la malnutrition apparaît comme une stratégie efficace et se présente comme socle pour le développement d’interventions durables visant la prévention et la prise en charge de la malnutrition tant aiguë que chronique. Il est nécessaire que les pays les plus touchés par la malnutrition comme le Burkina-Faso et le Mali se l’approprient et l’intègrent dans leur système de santé en développant la composante communautaire. L’approche communautaire pour plus d’impact devrait donc être un cadre de développement d’interventions préventives au-delà de la prise en charge, à commencer par le suivi et la prévention des rechutes de malnutrition aiguë. Les études réalisées nous ont montrés l’intérêt et la nécessité de combiner les stratégies préventives avec le traitement de la malnutrition aiguë en travaillant à la fois sur les pratiques nutritionnelles recommandées pour l’ANJE, en améliorant la qualité (calories et diversité) de l’alimentation et en assurant une meilleure couverture des besoins en micronutriments via une supplémentation en micronutriments multiples à domicile. Un paquet de services communautaires visant la santé de l’enfant tel la PCIME communautaire devrait être intégré à l’approche communautaire de la lutte contre la malnutrition.Dans les perspectives, il nous apparaît nécessaire de travailler à : - identifier des critères d’admission et de sortie simples et accessibles aux travailleurs communautaires permettant de dépister de manière exhaustive les cas de malnutrition aiguë, de les prendre en charge et de les sortir au moment adéquat à un coût supportable par le système de santé- définir et de fixer les seuils minimaux de rechute à intégrer comme critères d’efficacité dans les programmes de prise en charge communautaire de la malnutrition aiguë- documenter les causes d’anémie chez les nourrissons et jeunes enfants dans des pays à haute prévalence d’anémie chez les nourrissons comme le Mali afin d’envisager des réponses adéquates- évaluer l’effet du counseling personnalisé sur les pratiques d’ANJE et la croissance des enfants