Thèse de doctorat
Résumé : Les récepteurs 7TMs, également appelés récepteurs couplés aux protéines G, forment une superfamille de récepteurs transmembranaires avec plus de 800 membres identifiés. La découverte que d’autres protéines, notamment les β-arrestines, que les protéines Gα puissent activer des voies de signalisation associés aux récepteurs 7TMs a permis de définir un nouveau paradigme, le biais de signalisation, qui stipule qu’un récepteur peut adopter de multiples états conformationnels et qu’un ligand peut activer ou inactiver préférentiellement une voie de signalisation par rapport à d’autres. L’objectif principal de ce projet de thèse était d’analyser ce phénomène de biais de signalisation chez les récepteurs 7TMs en utilisant les récepteurs aux chimiokines comme modèle. Cette famille de récepteurs est un modèle intéressant pour étudier le biais de signalisation à cause de l’apparente redondance du système chimiokine : un même récepteur peut lier plusieurs chimiokines différentes, et une même chimiokine peut également lier plusieurs récepteurs différents. Nous avons étudié les voies de signalisation chez les récepteurs CCR2, CCR5 et CCR7 grâce à l’utilisation de biosenseurs BRET permettant d’identifier précisément les sous-unités Gα activées et d’analyser le recrutement de la β-arrestine 2. Au moment de débuter ce travail de doctorat, le récepteur CCR7 et ses deux chimiokines CCL19 et CCL21 était l’un des seuls exemples décrit dans la littérature de biais de signalisation d’un récepteur en réponse à ses ligands endogènes. Cette étude de référence montrait que les deux chimiokines activaient la voie de signalisation protéine G mais que seul CCL19 induisait le recrutement de la β-arrestine 2. Une deuxième étude publiée ultérieurement a cependant observé que CCL21 recrutait également la β-arrestine 2. A l’aide des biosenseurs BRET, nous avons montré que CCL19 et CCL21 sont capables d’activer le même panel de sous-unité Gα (Gαi1, Gαi2, Gαi3, Gαoa et Gαob) ainsi que de recruter la β-arrestine 2. Cependant, alors que les chimiokines ont la même affinité pour le récepteur CCR7, CCL21 est moins efficace que CCL19, et ce quelle que soit la voie de signalisation testée (inhibition de l’AMPc, mobilisation de calcium intracellulaire et phosphorylation ERK1/2). L’ensemble des résultats montrent que le biais de signalisation précédemment observé chez CCR7 doit être reconsidéré. Nous avons également recherché d’éventuels biais de signalisation chez CCR2 et CCR5. Ces deux récepteurs partagent plus de 90% d’identité de séquence au niveau de leurs segments transmembranaires. Ces récepteurs lient des chimiokines spécifiques (CCL3, CCL4, CCL5 pour CCR5 et CCL2 pour CCR2) mais également des chimiokines communes aux deux récepteurs (CCL8 et CCL13). CCL7 se lie également aux deux récepteurs mais il est un agoniste de CCR2 alors qu’il est un antagoniste de CCR5. Nos tests ont révélé que les chimiokines agonistes de CCR2 et CCR5 activent toutes le même panel de sous-unités Gα (Gαi1, Gαi2, Gαi3, Gαoa, Gαob et Gα12) ainsi que le recrutement de la β-arrestine 2 avec une puissance (EC50) en corrélation avec leur affinité pour leur récepteur. Cependant, grâce à une méthode de quantification du biais basée les valeurs d’EC50 et d’EMAX pour chaque voie de signalisation, nous avons observé des biais subtils pour certaines chimiokines. Par exemple, au niveau de CCR5, CCL5 et CCL8 présenteraient un biais favorisant la signalisation protéine G-dépendante par rapport au recrutement de la β-arrestine 2. L’ensemble des résultats indiquent que les chimiokines présenteraient un biais subtil et n’activeraient pas avec la même efficacité ni la même puissance toutes les voies de signalisations associées à leur récepteur. Ces résultats ont été confirmés par d’autres études. Notre étude a également montré que tous les récepteurs aux chimiokines n’activent pas le même panel de sous-unités Gα. Par exemple, CCR7 n’active pas la sous-unité Gα12 contrairement à CCR2 et CCR5. Dans une seconde partie de notre projet, nous avons analysé l’activité de deux molécules synthétiques énantiomères l’une de l’autre : UCB35625 et J113863. La particularité des énantiomères est qu’ils possèdent des caractéristiques chimiques et physiques identiques mais diffèrent par leur orientation spatiale car ce sont des projections miroirs l’un de l’autre. Initialement, UCB35625 et J113863 ont été décrit comme des antagonistes de haute affinité de CCR1 et CCR3. Nous avons observé dans cette étude que ces énantiomères peuvent aussi lier CCR2 et CCR5 avec une faible affinité de l’ordre du µM. Contrairement à leur profil antagoniste sur CCR1 et CCR3, la liaison d’UCB35625 et de J113863 sur CCR2 et CCR5 activent certaines isoformes de protéines Gαi et Gαo mais contrairement aux chimiokines, ces molécules sont incapables d’activer la sous-unité Gα12. La molécule J113863 active complètement le recrutement de la β-arrestine 2 sur CCR2 et partiellement sur CCR5, alors qu’UCB35625 est incapable d’induire ce recrutement quel que soit le récepteur. Alors qu’UCB35625 est capable d’induire la migration de cellules L1.2 exprimant CCR2 ou CCR5, la molécule J113863 n’active que la migration des cellules exprimant CCR2. En conclusion, nos résultats montrent des propriétés fonctionnelles différentes entre les deux énantiomères où J113863 est un agoniste complet de CCR2 et un agoniste partie de CCR5, alors qu’UCB35625 est un agoniste partiel des deux récepteurs. La quantification du biais entre les différentes voies de signalisation révèle que la molécule J113863 présenteraient un biais vers la voie Gαi2 par rapport à la voie Gαoa ou à la mobilisation de calcium intracellulaire. Comme CCR2 et CCR5 partagent plus de 90% d’identité de séquence au niveau de leurs domaines transmembranaires, nous avons recherché quels acides aminés pourraient être impliqués dans la différence de réponse vis-à-vis des énantiomères. Nous avons testé des versions mutantes de CCR5 dont les acides aminés des segments TM2 et TM3 ont été substitué par leurs homologues présents dans CCR2. Parmi ces mutations, la substitution F3.33H convertit l’agoniste partiel J113863 en un agoniste complet de CCR5. Par contre, cette même mutation n’a pas d’impact majeur sur les propriétés d’UCB35625. Ces résultats montrent que même si les énantiomères sont chimiquement semblables, le résidu 3.33 a un impact différent sur ces deux molécules. Dans leur ensemble, nos résultats indiquent que les propriétés fonctionnelles associées à J113863 et UCB35625 sont plus complexes qu’initialement décrits. Ce sont des agonistes partiels et biaisés de CCR2 et CCR5 et des antagonistes de CCR1 et CCR3. Nos résultats montrent donc que la démarcation entre agonisme et antagonisme est fine chez les récepteurs aux chimiokines.