par Corten, Olivier
Référence Questions of international law, 2018, page (3-16)
Publication Publié, 2018
Article révisé par les pairs
Résumé : En application du principe de non-intervention dans les guerres ci- vile, aucune puissance tierce ne peut prendre parti en faveur d’une par- tie à un conflit interne, la population de l’Etat concerné devant déter- miner son régime politique sans ingérence étrangère. Paradoxalement, il n’est pas certain que ce principe ait, en tant que tel, été mis en cause dans le cas de la Syrie. A cet égard, il faut rappeler que les autorités russes ne se sont pas contentées de se référer à un consentement antérieur, certain, valide et attribuable à la Syrie; elles se sont aussi prévalus du but de l’intervention, qui était de lutter contre des groupes terroristes conformément aux résolutions du Conseil de sécurité; a contrario, et toujours à en croire le discours justificatif russe – tout comme d’ailleurs, celui des autorités syriennes42 –, il ne s’agissait pas d’aider le gouvernement syrien à réprimer un mouvement rebelle interne. C’est sans doute pour cette raison que les Etats tiers n’ont pas, sur le principe, mis en cause le droit pour la Russie de s’attaquer aux factions terroristes qui opéraient en Russie. Les résolutions du Conseil de sécurité jouent à cet égard un rôle décisif, dans la mesure où elles disqualifient l’EIIL ou d’autres mouvements qualifiés de terroristes, lesquels ne peu- vent en aucun cas prétendre incarner une cause politique et représenter les aspirations de tout ou partie du peuple syrien (ou irakien d’ailleurs). Si l’on met ce précédent en relation avec d’autres, comme ceux du Mali ou du Yémen, on serait tenté de dire que la qualification de terrorisme tend à rendre simplement inopérant le principe de non-intervention dans les guerres civiles. Il suffirait en effet, comme le font depuis long- temps les autorités des Etats qui y sont confrontés, de baptiser les re- belles de terroristes pour pouvoir contourner le principe de neutralité. Dans les trois précédents que l’on vient de citer, cependant, c’est le Conseil de sécurité qui a procédé à une telle qualification, avec pour conséquence un amenuisement des risques de contournement unilatéral de la règle. Si on élargit encore la perspective à la prise en compte de cas comme la Libye, la République centre-africaine, la République démocratique du Congo ou encore la Gambie, on se rend d’ailleurs compte que le Conseil de sécurité a de plus en plus tendance à se saisir des situations de guerre civile, et en pratique à soutenir l’une des parties au conflit, ce qui va souvent de pair avec une disqualification de l’autre. En ce sens, le principe de non-intervention paraît voir sa portée limitée en pratique même si, en théorie, il ne porte en rien atteinte aux mesures prises par le Conseil en application du chapitre VII de la Charte. C’est en tout cas l’hypothèse que l’on peut formuler à la suite d’une analyse du précédent syrien, et ce au-delà des spécificités de ce dernier.