Résumé : Introduction La République Démocratique du Congo (RDC) est caractérisée actuellement par une fréquence élevée des maladies cardiovasculaires, dont l’hypertension artérielle (HTA) constitue un facteur de risque majeur. Ceci sous-entend entre autres un faible contrôle de l’HTA qui peut être influencé par plusieurs facteurs à savoir le système de santé, les prestataires des soins et les patients. D’où une série d’études a été menée pour identifier les barrières au contrôle de la pression artérielle en vue de contribuer à la réduction de la morbidité et de la mortalité cardiovasculaire en RDC. Et cela par la définition d’un cadre de prise en charge globale du risque cardiovasculaire au niveau des structures sanitaires de base qui constituent le premier contact entre la communauté et le système de santé.Méthodes Six études ont été menées dans la ville de Kinshasa de 2013 à 2015. La première étude, était transversale et a été conduite auprès des prestataires de soins pour évaluer leur niveau de connaissances et pratiques sur les facteurs de risque cardiovasculaires en général et l’HTA en particulier. Au total, 102 infirmiers de 36 centres de santé (CS) ont été interviewés.La deuxième étude également transversale, était conduite auprès des malades hypertendus suivis dans les CS de la ville de Kinshasa pour déterminer les facteurs associés à la non-adhérence au traitement, qui est l’un des principaux facteurs de risque de non contrôle de l’hypertension artérielle. Au total 395 patients hypertendus sous traitement médical étaient interviewés.La troisième étude, transversale a été effectuée auprès de 280 patients hypertendus suivis dans les CS pour mesurer la fréquence du recours à la médecine alternative et complémentaire ainsi que leurs facteurs de risque.La quatrième étude avait comme objectif de déterminer l’association entre le contrôle de l’HTA et le niveau des soins. Pour ce faire, une étude transversale a été conduite auprès de 260 patients hypertendus dont 130 suivis par les médecins dans les formations sanitaires (FOSA) de deuxième échelon (Hôpitaux Généraux de Référence) et 130 autres suivis par les infirmiers au niveau des CS. La cinquième étude a consisté en une étude des caractéristiques de base des patients avant de mettre en place une intervention. Au total 974 patients hypertendus éligibles enrôlés dans les ménages ont été référés dans les CS et enquêtés. Cette étude avait comme objectif de déterminer la fréquence des facteurs de risque cardiovasculaire (FRCV) auprès des malades hypertendus et leurs facteurs associés.La sixième étude a consisté en un essai randomisé par grappes, 974 patients enrôlés ont été répartis dans 12 centres de santé dont six étaient affectés de manière aléatoire à l’intervention et six autres ont servi de contrôle. Les patients ont été suivis pendant une année et l’objectif était de déterminer l’effet de la formation des prestataires des soins sur le contrôle de la pression artérielle et des autres FRCV. Résultats L’enquête auprès des prestataires de soins a trouvé que seuls 9,5% avaient déjà bénéficié d’une formation en cours d’emploi sur les FRCV, à peine près de la moitié (51,7%) disposaient des protocoles pour la prise en charge de l’HTA. Moins d’un quart connaissaient le seuil de positivité de l’HTA (22,5%), du diabète (3,9%) et de l’obésité (2,9%). Seuls 14,7% connaissaient les objectifs thérapeutiques pour un patient hypertendu non compliqué. Les antihypertenseurs utilisés n’étaient pas appropriés selon les recommandations utilisées.La deuxième enquête a trouvé une faible proportion de patients hypertendus ayant une pression artérielle contrôlée (15,6 % ; IC95 % : 12,1%–20,0%) ; en outre plus de la moitié n’étaient pas adhérents au traitement médical (54,2 % ; IC 95 % : 47,3–61,8). L’étude a trouvé que la non adhérence au traitement était liée au non contrôle de la PA (OR = 2,0; IC 95 % : 1,1–3,9). Les facteurs associés à la non adhérence étaient le faible niveau de connaissances des complications de l’HTA (OR = 2,4; IC 95 % : 1,4–4,4) ; le fait de ne pas bénéficier des séances d’éducation sanitaire (OR = 1,7; IC 95 % : 1,1–2,7) ; la non disponibilité des antihypertenseurs dans la formation sanitaire (OR = 2,8; IC 95 % : 1,4–5,5); la présence des effets secondaires (OR = 2,2; IC 95 % : 1,4–3,3) et le fait de prendre des médicaments non prescrits par les prestataires de soins (OR = 2,2; IC 95 % : 1,2–3,8).La troisième étude a trouvé que plus d’un quart de patients hypertendus recouraient aux soins alternatifs et complémentaires (26,1% ; IC 95 %: 20,7% - 31,8%). Les types de soins alternatifs les plus cités étaient l’usage des plantes médicinales (42,5%) et la prière (35,6%). Les facteurs associés à ce recours étaient la mauvaise perception de la curabilité de l’HTA (OR = 2,1; IC 95 %: 1,1-3,7) et l’expérience des effets secondaires (OR = 2,9; IC 95 %: 1,7-5,1). La mauvaise perception de la curabilité de l’HTA était quant à elle associée à la religion et à la durée de l’HTA.La quatrième étude a trouvé qu’il n’y avait pas de différence en termes de contrôle de la pression artérielle entre les malades suivis au niveau des FOSA de deuxième échelon et ceux suivis au niveau des FOSA de premier échelon (CS) (23,8% vs 22,3%, p = 0.771) quoi qu’en moyenne par mois dans un CS, un malade dépense 7,7 $US ± 0,6 $US alors que dans une FOSA de deuxième échelon cette dépense moyenne est de 34,2 $US ±3,34$US. Les facteurs associés au non contrôle de la PA étaient la présence de comorbidité(OR= 10,3; IC95%: 3,8 – 28,3) et le type d’antihypertenseurs utilisé (OR= 4,6; IC95%: 1,3 –16,1).La cinquième étude a trouvé une prévalence importante d’autres facteurs de risque cardiovasculaire auprès des malades hypertendus. La consommation de légumes et de fruits était à 65,8% ; la surcharge pondérale /obésité à 57,7% ; l’usage non modéré de l’alcool à 43,9% ; l’inactivité physique à 42,3% et la consommation du tabac était de 5,4%. Ces facteurs de risque étaient différemment repartis en fonction du milieu de résidence. La fréquence de l’obésité chez les malades hypertendus était quasiment le double de celle de la population générale. La surcharge pondérale/obésité était associée au sexe féminin en milieu urbain (OR= 2,7; IC 95%: 1,6-4,9) tandis qu’en milieu rural, elle était associée au haut niveau d’étude (OR= 3,0; IC 95%: 1,1-7,8), à l’inactivité physique (OR=5,3; IC 95%: 1,2-23,6) et à un régime alimentaire pauvre en légumes et fruits (OR= 3,3; IC 95%: 1,1-10).La dernière étude, l’essai randomisé par grappes, a trouvé que la formation des prestataires des soins a eu un effet sur la réduction de la pression artérielle dans le groupe intervention par rapport au groupe contrôle : -8,1 mm Hg de différence entre la PAS du recrutement et celle du douzième mois. L’étude a également rapporté que les patients du groupe intervention avaient plus de probabilité d’être contrôlés à toutes les visites que ceux du groupe contrôle (OR= 6,4 ; IC 95%: 1,8-22,5). L’étude n’a pas trouvé d’effet de l’intervention sur les autres facteurs de risque cardiovasculaire, excepté pour la consommation de légumes où les patients du groupe intervention avaient deux fois plus de chance d’augmenter la quantité des légumes consommée que ceux du groupe contrôle (OR=2,2; IC 95%: 1,3-3,8).Discussion et conclusion Ces études ont montré que les barrières au contrôle adéquat de la pression artérielle décrites dans la littérature s’appliquent pour la ville de Kinshasa en RDC. La faiblesse du système de santé peut expliquer en grande partie ce faible contrôle de la PA. Le fait de ne pas disposer des protocoles de prise en charge et de ne pas bénéficier d’une formation en cours d’emploi peut expliquer le faible niveau des connaissances et de pratiques des prestataires des soins. Ces derniers, non informés, ne peuvent rien transmettre aux patients comme informations sur leur maladie. Du côté patients, il a été noté un problème de faible motivation, et d’insatisfaction qui se sont traduites par la faible adhérence au traitement ; et au recours aux soins complémentaires et alternatifs. En dépit du fait que l’intervention ait corrigé certaines barrières, la proportion de contrôle de la PA est restée faible au bout de 12 mois de suivi. Et malgré l’accessibilité financière et géographique, il y a eu une très faible utilisation spontanée des services par les malades hypertendus. Il est donc possible d’améliorer le contrôle de l’hypertension artérielle dans les structures sanitaires du niveau primaire de la ville de Kinshasa, en mettant en place un protocole simple de prise en charge, un outil d’éducation des patients mais il est important d’utiliser une approche plus centrée sur le patient pour améliorer sa motivation.