Résumé : Les modifications environnementales qui affectent aujourd'hui les milieux marins recouvrent des problématiques scientifiques et sociétales majeures, d'autant que ces changements devraient s'accélérer au cours du 21ème siècle. Comprendre et anticiper la réponse de la biodiversité marine à ces changements représente un enjeu scientifique d'actualité. Les approches biogéographiques et macroécologiques constituent un cadre scientifique dans lequel il est possible d'étudier, de décrire, et de comprendre les motifs de distribution des espèces à large échelle et d'estimer leur évolution possible face aux changements environnementaux. C'est notamment le cas dans l'océan Austral où les effets du changement climatique se font déjà sentir et où les modifications environnementales associées pourraient avoir des effets profonds sur la structure et le fonctionnement des écosystèmes. Malgré de récents efforts d'échantillonnage, nos connaissances sur la distribution des espèces dans l’océan Austral comptent encore de nombreuses lacunes attribuables au caractère récent des découvertes, à l'isolement et à l'éloignement de cet océan d'accès difficiles. Dans ce contexte, les objectifs de cette thèse consistaient à mieux comprendre les motifs de distribution d'espèces à l’échelle de l’océan Austral, à mettre en évidence les facteurs qui en sont à l’origine et enfin, à évaluer l’impact du changement climatique sur leur distribution. Pour cela,différents types de modèles de niche écologique (MNE) ont été employés. Les échinides (oursins), organismes communs des communautés benthiques de l’océan Austral ont servi de modèle d'étude pour ce travail. Afin de générer des MNE, notamment de type corrélatif, une base de données d’occurrence des espèces d'échinide a été actualisée. L’effort d’échantillonnage a ainsi pu être cartographié et quantifié pour l'ensemble de l'océan Austral ; il s'est révélé très hétérogène, principalement concentré aux abords des zones peu profondes et des bases scientifiques. Cela peut générer des biais dans la qualité et la performance prédictive des MNE ainsi que dans les projections spatiales associées. La robustesse des MNE corrélatifs a donc été testée au regard de l’effort d’échantillonnage mais aussi en tenant compte de la taille des niches écologiques des espèces étudiées ainsi que des contraintes biogéographiques existantes. Cette approche a permis de souligner l’importance de certains facteurs abiotiques pour expliquer la distribution des espèces à large échelle. Il apparaît aussi qu’une meilleure qualité d'échantillonnage génère des MNE plusrobustes mais que les résultats sont fortement dépendants de la taille des niches écologiques et de la présence de barrières biogéographiques.Ces MNE individuels réalisés pour de nombreuses espèces ont été combinés entre eux et ont permis de définir dix écorégions à l'échelle de l'océan Austral qui se distinguent par leur composition faunique et leurs caractéristiques environnementales. Les résultats montrent une forte individualisation des faunes antarctiques par rapport aux régions subantarctiques ainsi que l'existence de liens fauniques entre l’Amérique du Sud et les îles subantarctiques d'une part, ainsi qu’entre la nouvelle Zélande et la mer de Ross de l'autre. Ils soulignent également l’importance de facteurs environnementaux comme la température de fond, la profondeur et la géomorphologie pour expliquer les motifs de distribution des espèces. Enfin, des modèles prédictifs futurs ont été produits sur la base du scénario RCP 8.5 du GIEC. Ils montrent que les régions subantarctiques pourraient être particulièrement impactées par les changements environnementaux y compris au sein du réseau d’Aires Marines Protégées (AMP) mis en place dans l’océan Austral. Les MNE corrélatifs ont fait l’objet de critiques récurrentes dans la littérature scientifique du fait de leur incapacité à prendre en compte les dynamiques biologiques liant espèce et environnement, et de leurs limites pour l'extrapolation des données et la production de projections futures. Des MNE de types mécanistiques reposant sur l'approche des Dynamic Energy Budget ont donc été produits pour l'espèce Sterechinus neumayeri (Meissner, 1900) grâce aux nombreuses connaissances acquises sur le développement et la croissance de l'espèce. La comparaison entre MNE corrélatifs et mécanistiques a permis d’apprécier leur complémentarité et de proposer des projections robustes pour la période actuelle. En revanche, les projections futures ont montré de fortes divergences entre modèles, soulignant la nécessité d'utiliser plusieurs approches de modélisation pour mieux comprendre la distribution des espèces à large échelle et évaluer l’impact du changement climatique sur la biodiversité marine de l’océan Austral.