Résumé : Cette thèse s'intéresse au travail quotidien des acteurs administratifs de la justice pénale et de la police c'est-à-dire aux greffiers, secrétaires, collaborateurs, estafettes, assistants, soit à tous les employés qui travaillent dans les coulisses des institutions étudiées aux côtés des magistrats et policiers, plus connus et plus étudiés. Notre intérêt pour ces acteurs a d’abord été guidé par un questionnement central et volontairement large visant, d’une part, à identifier et à découvrir la nature de leur travail et, d’autre part, à comprendre en quoi et comment ils contribuent à l’action de la justice pénale et de la police. Il s’inscrit dans une démarche empirique et inductive qui cherche à éclairer cette réalité professionnelle et son impact sur le fonctionnement institutionnel « à partir et au plus près » du quotidien des acteurs étudiés, en recourant à des immersions de type ethnographique au sein des coulisses de commissariats, parquets et tribunaux. En se penchant sur les pratiques d’acteurs qui œuvrent au fonctionnement des instances de justice pénale et de police, nous cherchons donc à mieux comprendre l’activité et le fonctionnement d’institutions chargées de réagir aux comportements problématiques, de les prévenir, de les réguler ou de les punir, et donc à éclairer les processus de réaction sociale. Notre démarche se situe ainsi au croisement entre une sociologie de l’action publique par le bas et une sociologie du travail privilégiant l’approche par l’activité ou la relation de service. Le premier courant est notamment inspiré des travaux précurseurs de M. Lipsky qui mettent l’accent sur la participation active de fonctionnaires – les street-level bureaucrats – à la construction des politiques publiques, malgré leur éloignement des instances décisionnelles (LIPSKY, 2010 [1980]). Le second courant s’éloigne d’une sociologie du travail « classique » qui s’intéresse à l’organisation du travail et aux politiques en la matière pour se focaliser davantage sur l’activité « en train de se faire » inscrite dans un système d’interactions impliquant d’autres acteurs et un contexte de travail (AVRIL, CARTIER et SERRE, 2010 ; HUGHES, 1996 ; UGHETTO, 2013 ; WELLER, 2007).La thèse répond au questionnement de départ en montrant comment les acteurs étudiés participent aux pratiques de la justice pénale et de la police à travers leurs pratiques quotidiennes, leur pouvoir discrétionnaire et les bricolages et routines qu’ils mettent en place pour fonctionner. Malgré une forte invisibilité – entendue comme un manque de reconnaissance de la valeur et de l’importance de leurs activités par le grand public, par la hiérarchie, par les travailleurs eux-mêmes et par les institutions qui les emploient (CRAIN, POSTER et CHERRY, 2016) – ils participent de manière indispensable à l’action publique, ils la rendent possible et l’influencent. Ils exercent donc bel et bien un rôle de « policy maker » au sein d’organisations dont les spécificités atténuent ou renforcent ce rôle. Ils participent à la construction des décisions qui y sont prises (par d’autres) en les mettant en forme et assurant leur légalité ; ils influencent les décideurs par leurs actions ou par leurs interactions ; ils créent et préservent le lien entre les collègues mais aussi entre les organisations chargées de mener une action collective – la restauration et le maintien de l’ordre public – dans un contexte particulièrement segmenté. La thèse montre également que ces acteurs sont des professionnels à part entière qui exercent un métier spécifique, indispensable au fonctionnement de la justice pénale et de la police. Ils participent au contrôle social et, dans le même temps, subissent le contrôle exercé par les institutions sur eux et leur travail.