Résumé : La néphropathie aux acides aristolochiques (NAA) est une néphrite tubulo-interstitielle (TI) toxique initialement rapportée chez des patients après la consommation de remèdes à base de plantes chinoises contenant des acides aristolochiques (AA). Histologiquement, elle est caractérisée par une fibrose interstitielle, facilement reconnaissable à son gradient corticomédullaire, et une atrophie tubulaire, responsables d’une dégradation rapide de la fonction rénale conduisant à l’insuffisance rénale terminale. La reproduction de la maladie humaine chez l’animal (rat) dans le laboratoire expérimental de néphrologie a permis de retrouver les adduits d’ADN spécifiques aux AA et de décrire une évolution biphasique de l’atteinte TI : une phase aiguë, caractérisée par une nécrose tubulaire des cellules épithéliales tubulaires proximales (CETP) (en particulier du segment S3) associée à un infiltrat inflammatoire mononucléé et une phase chronique caractérisée par une atrophie tubulaire et une fibrose interstitielle. L’atteinte ciblée des CETP observée dans la NAA a suggéré l’existence de mécanismes physiopathologiques spécifiques à ce segment du néphron. Par ailleurs, l’infiltrat inflammatoire a été proposé comme étant le lien physiopathologique entre la phase aiguë et la phase chronique. La localisation des transporteurs d’anions organiques (ou organic anion transporter, OAT) dans le tubule proximal et leurs rôles dans d’autres néphropathies toxiques ont suggéré leur implication dans la NAA. Des études in vitro ont permis de démontrer leur responsabilité dans l’accumulation intracellulaire des AA, mais leur implication ainsi que l’effet protecteur du probénécide (PBN) un inhibiteur des OAT, n’a jamais été démontrée in vivo. Dans un modèle murin, nous avons confirmé le rôle des OAT dans le transport des AA ainsi que l’effet protecteur du PBN dont l’administration a permis de prévenir l’augmentation de la créatinine plasmatique, de réduire les lésions aiguës et chroniques et de diminuer la sévérité et l’étendue des lésions en microscopie électronique. De plus, la quantité d’adduits d’ADN spécifiques aux AA a été significativement réduite aux temps précoces. Bien qu’un infiltrat inflammatoire ait été démontré dans la NAA chez l’homme et l’animal, le rôle précis des leucocytes n’a jamais été étudié dans ce modèle. Nous avons démontré que la déplétion en lymphocytes T-CD4+ ou CD8+ aggravait l’atteinte rénale aiguë (ARA) (augmentation de la nécrose, de la créatinine plasmatique et de l’urée) induite par les AA. En outre, leur injection prolongée a provoqué une augmentation importante de la mortalité dans le groupe déplété en lymphocytes T-CD4+ par rapport au groupe injecté uniquement avec des AA. L'injection d’AA induisant une augmentation de la proportion de lymphocytes T régulateurs intrarénaux par rapport aux souris contrôles, nous avons également testé les effets de leur déplétion. Etonnamment, aucune augmentation de la créatinine plasmatique, de l’urée ou du score de nécrose n'a été observée. De plus, l’ARA de la NAA s’est accompagnée d’une augmentation de la population CD11bhighF4/80mid et d’une diminution de la population CD11blowF4/80high. La déplétion lymphocytaire CD4+ a provoqué une augmentation encore plus importante de la population CD11bhighF4/80mid et la déplétion T-CD8+ une diminution plus importante de la population CD11blowF4/80high. Les lymphocytes T-CD4+ et CD8+ exercent donc un effet protecteur dans la NAA expérimentale. L’aggravation de l’atteinte rénale consécutive à leur déplétion pourrait être liée à la perte du rétrocontrôle de l’immunité innée par l’immunité adaptative ou à une modification du phénotype des macrophages. Cette hypothèse mériterait d’être confirmée par des données complémentaires.