Résumé : La thèse porte sur les dimensions politiques de la passion du football en Russie soviétique et postsoviétique et vise à répondre à la question suivante : comment, et dans quelle mesure le supportérisme footballistique est-il susceptible de produire des effets politiques ? En d’autres termes, en quoi et comment la passion du football peut-elle s’avérer politisante dans le contexte russe ? La recherche repose sur une méthodologie qualitative combinant d’une part, des entretiens individuels et collectifs approfondis avec des supporters de différents clubs de football moscovites et d’autre part, une analyse de réseaux sociaux supportéristes. La thèse se structure en six temps : un chapitre théorique, trois chapitres privilégiant une approche plus « macro », attentive aux effets du contexte socio-politique russe, et deux chapitres évaluant l’influence du supportérisme en tant que tel sur les processus de politisation à un niveau plus micro.Le premier chapitre sert à poser les bases théoriques de notre objet. Nous y interrogeons la passion du football en tant qu’objet politique. Dans un premier temps, nous élargissons le champ théorique habituellement utilisé en sociologie du sport dans l’étude du supportérisme, pour considérer ce dernier à travers les catégories du loisir et de la passion. Dans un second temps, nous proposons un état de l’art sur les dimensions politiques du loisir et de la passion à partir duquel nous élaborons un cadre théorique pour notre recherche. Le deuxième chapitre interroge la dimension subversive de la passion pour le football en URSS. Nous y retraçons tout d’abord les diverses significations politiques de la passion du football, depuis son apparition en Russie à la fin du XIXème siècle jusqu’à la fin des années 1960, en prêtant notamment attention aux écarts entre d’une part, les valeurs officielles assignées au sport par le pouvoir soviétique et d’autre part, les pratiques des passionnés de football. Ensuite, nous nous intéressons plus spécifiquement à la période allant du début des années 1970 jusqu’à la fin de l’URSS, qui correspond à l’émergence de groupes de supporters organisés en tant que subculture spécifique. Nous montrons en particulier l’ambiguïté du supportérisme de cette époque, qui se présente tantôt comme une forme de résistance symbolique ou violente au régime soviétique, tantôt comme un exemple d’adaptation négociée avec le pouvoir en période de changements politiques majeurs. Le troisième chapitre se centre quant à lui sur la place du nationalisme au sein du supportérisme russe à la fin de l’URSS et dans les années 1990, ces dernières correspondant à la phase de structuration de la subculture supportériste russe. Dans un premier temps, nous tentons d’esquisser des contours théoriques applicables au nationalisme russe. Dans un second temps, nous interrogeons le supportérisme en tant que reflet et catalyseur de tensions nationales à la fin de l’URSS. Dans un troisième temps, nous analysons l’influence du modèle hooligan britannique et son rôle dans la pénétration et la banalisation du nationalisme radical au sein du supportérisme russe. Enfin, dans un cinquième temps, nous tentons de montrer en quoi le contexte politique et social de cette période se présente comme particulièrement propice au développement d’une subculture centrée sur le nationalisme « ethnique ». Le quatrième chapitre se propose d’explorer les liens du supportérisme organisé avec le pouvoir politique et d’interroger plus globalement la place du nationalisme dans le système politique russe contemporain. Dans une première partie, nous présentons la manière dont l’instauration d’un large consensus autour de thèmes nationalistes et la mise en place, par le pouvoir, d’une stratégie de contrôle du milieu nationaliste extraparlementaire influe sur la proximité des supporters avec ce dernier et sur leurs positionnements idéologiques. Ensuite, nous nous focalisons plus spécifiquement sur les premières revendications des supporters organisés en Russie, en montrant qu’elles constituent un miroir du nationalisme extraparlementaire. Dans un troisième temps, nous présentons les transformations subies par le hooliganisme russe, en les replaçant dans le cadre du consensus nationaliste soutenu par un discours de valorisation du sport. Enfin, la dernière partie du chapitre est consacrée à l’évolution des relations entre le pouvoir politique et les supporters organisés de 2000 à 2016.Dans le cinquième chapitre, nous analysons la fonction expressive du supportérisme en Russie contemporaine. Dans une première partie, nous nous penchons sur le rôle spécifique du stade et des outils supportéristes dans la structuration des messages et revendications supportéristes. Ensuite, nous interrogeons la spécificité des expressions racistes dans les stades russes en essayant de répondre à la question suivante : signalent-elles une politisation du supportérisme, ou s’inscrivent-elles dans un mouvement inverse, où le politique se met au service d’enjeux sportifs ? La deuxième partie du chapitre est quant à elle consacrée plus largement à la manière dont les éléments constitutifs de la subculture supportériste sont susceptibles d’agir comme des supports du nationalisme radical. Nous y étudions en particulier le rôle joué par le style vestimentaire ou encore les tatouages dans la production d’un « nationalisme ordinaire ». Enfin, nous nous penchons sur la construction de ce dernier au sein des modes de communication supportéristes, caractérisés par l’utilisation de réseaux sociaux et le recours à un registre humoristique.Dans le sixième et dernier chapitre, nous continuons à explorer les processus de politisation routiniers en nous intéressant cette fois-ci aux discours supportéristes. Il s’agit d’étudier la façon dont les supporters mobilisent le football (expériences, pratiques, représentations qui y sont liées) pour construire leur raisonnement sur des sujets politiques plus globaux. Dans ce chapitre, la politisation autour des thèmes supportéristes est explorée au sein de deux parties : la première est consacrée à la construction de sentiments patriotiques et de représentations politiques autour du thème spécifique de l’équipe nationale de football russe ; la deuxième partie du chapitre est quant à elle dédiée à une analyse plus systématique et détaillée des différentes ressources susceptibles d’intervenir dans les mécanismes de politisation au sein des discours supportéristes. En définitive, cette thèse contribue à la fois à la sociologie du sport, en proposant un schéma explicatif pour appréhender les dimensions politiques du supportérisme footballistique ; et à l’étude de la politique russe, en mettant à jour les divers mécanismes de politisation susceptibles de se produire dans le champ des loisirs.