Résumé : En Allemagne, l’expérience de la Première Guerre mondiale a radicalisé les mouvements antisémites. La rancœur engendrée par la défaite a servi à cimenter la haine du juif . Mais qu’en est-il en Belgique ? Dans ce pays, pendant la période étudiée (1880-1930), aucun mouvement ne se déclare antisémite. De plus, le pays sortant victorieux de la Première Guerre mondiale, l’expérience de guerre n’apporte pas de l’eau au moulin des quelques défenseurs de l’antisémitisme comme idéologie. Pourtant des recherches révèlent la présence d’un antisémitisme latent en Belgique avant les années trente, pendant que d’autres indiquent que les attitudes des autorités belges pendant la Deuxième Guerre mondiale sont largement imprégnées d’un habitus xénophobe et de « réflexes parfois inconscients d’exclusion ou de marquage social ».Afin d’interroger ces résultats, cette thèse de doctorat a pour objectif d’approcher les mécanismes de criminalisation des étrangers juifs de Cureghem par la Sûreté publique. Pour ce faire, nous questionnons le concept d’antisémitisme latent à un niveau chronologique (avant, pendant et après la Première Guerre mondiale), social (les représentations présentes au sein de la police à l’égard des juifs étrangers) et politique (les pratiques et l’habitus de la police). Il s’agit donc d’analyser les représentations des agents sur ce groupe d’étrangers, de déceler les conséquences de ces dernières sur les pratiques policières pour finalement appréhender l’évolution de cet antisémitisme tout au long de la période 1880-1930.Cette thèse de doctorat met en évidence quatre constatations majeures : D’abord, la guerre a permis de complexifier et perfectionner l’appareil étatique de surveillance. Ensuite, l’hostilité de la police des étrangers à l’égard des étrangers d’origine juive ne s’exprime pas de façon systématique. En effet, les fonctionnaires de la police des étrangers mobilisent leurs préjugés dans des contextes particuliers. Malgré la présence d’une représentation négative du juif chez les fonctionnaires, ceux-ci peuvent également pratiquer une forme d’« abstention volontaire » dans l’expression de préjugés anti-juifs. Aussi, s’il atteste de la réalité d’une hostilité à l’égard des juifs, ce travail prouve également que les étrangers d’origine juive ne sont pas les seuls à connaître des discriminations. En fonction de l’époque et du lieu, il arrive à la police des étrangers de criminaliser différents groupes. Cette attitude est mise en évidence grâce à l’étude de groupe comme les Italiens colporteurs avant la guerre ou les Italiens antifascistes dans les années vingt.Enfin, ce travail révèle que les étrangers d’origine juive ne sont pas identifiés seulement comme étant juifs, mais aussi comme Polonais, Russes ou Hollandais. Les catégories nationales jouent un rôle prédominant dans la construction des représentations sur le juif. De même, le genre devient une catégorie pertinente quand il s’agit du contrôle, mais également de la punition d’un étranger. Un dernier élément important se dégage de cette recherche : cette thèse démontre que le terme « racisme institutionnel » (V. Sala Pala, 2010 ) peut être utilisé pour qualifier l’attitude de la police des étrangers. Ce qui, grâce à l’analyse de cette institution étatique dont la tâche est d’apprécier l’intérêt de la présence d’un étranger sur le territoire national, sert également à porter un certain éclairage sur l’actualité.