Résumé : La tuberculose est une maladie infectieuse qui reste un problème de santé publique majeur au XXIème siècle. Transmise d’homme à homme par voie aérienne, elle cause chaque année plus de 10.000.000 nouveaux cas dans le monde et est responsable de près de 2.000.000 de décès. Sa répartition est très hétérogène. Son incidence est la plus élevée dans les pays à revenus faibles et moyens. Dans les pays à revenus élevés, la maladie se concentre dans les grandes villes où elle touche préférentiellement les personnes précarisées.Malgré le déploiement de nouveaux outils diagnostiques et la découverte de nouveaux médicaments, l’incidence de la tuberculose ne diminue que très lentement. Les principales raisons de sa persistance sont l’inégalité de l’accès aux soins dans le monde et l’émergence de tuberculoses multi-résistantes.Ces formes résistantes sont plus difficiles à guérir et nécessitent à l’heure actuelle des traitements très longs et grevés d’effets secondaires potentiellement sévères. Dans certains cas, le germe est tellement résistant que la maladie peut s’avérer incurable.Si la tuberculose multi-résistante est beaucoup plus fréquente dans les pays les plus financièrement démunis, elle peut également émerger dans les pays à revenus élevés si les efforts en matière de prévention et de traitement ne sont pas renforcés. Par ailleurs, les mouvements migratoires et, parfois, le tourisme médical, favorisent la dispersion de ces cas de tuberculose multi-résistante partout dans le monde.La première partie de mon travail est consacrée à la description de la tuberculose, l’historique, l’épidémiologie actuelle, la prise en charge diagnostique et thérapeutique et les facteurs médicaux et sociaux responsables de sa persistance.La deuxième partie décrit la problématique de la tuberculose multi-résistante : épidémiologie, dynamique de transmission, prise en charge diagnostique et thérapeutique. Les barrières au contrôle de la tuberculose, en particulier sa forme résistante sont mises en évidence. La maladie est difficile à diagnostiquer, nécessitant des techniques spécifiques et coûteuses et des infra-structures répondant à des normes de biosécurité strictes. Le traitement est long et implique une collaboration complète et durable du patient. Sur le plan social, la tuberculose est un paradigme de maladie sociale, touchant principalement des personnes défavorisées qui ne bénéficient pas de conditions de vie saines et des personnes déplacées suite aux flux migratoires. Ces malades sont plus difficiles à soigner et nécessitent toute l’attention des politiques de santé publique, tant dans leur pays d’origine que dans leur pays d’accueil.La dernière partie de mon travail est consacrée à la prise en charge de la tuberculose multi-résistante en Belgique, et en particulier à l’hôpital Saint-Pierre, considéré comme le centre de référence à Bruxelles. A partir du milieu des années 90, des cas de tuberculose multi-résistante ont été régulièrement diagnostiqués en Belgique. Au cours des 10 dernières années, entre 10 et 20 nouveaux cas y ont été traités chaque année, les patients présentant les profils de résistance les plus sévères étant orientés préférentiellement vers l’hôpital Saint-Pierre. La centralisation de ces cas dans notre service nous a amenés à innover sur le plan thérapeutique et à proposer un modèle de prise en charge adapté au contexte épidémiologique local.Concernant les aspects thérapeutiques, nous avons contribué à établir le rôle potentiel d’une association carbapénème-inhibiteur de β-lactamase dans le traitement de la tuberculose multi-résistante. La théorie qui sous-tend ce traitement expérimental est exposée : mécanisme d’action, études in-vitro, modèle animal et études cliniques « princeps ». Les données de notre cohorte de patients présentant une tuberculose ultra-résistante et traités par une combinaison de drogues contenant l’association méropénème-acide clavulanique sont exposées.Dès 2009, l’association méropénème-acide clavulanique a été introduite dans le traitement empirique de nos patients atteints de tuberculose résistante à pratiquement tous les antituberculeux. Suite aux résultats favorables obtenus chez les premiers patients, nous avons continué à administrer ce traitement aux patients pour lesquels un traitement actif ne pouvait pas être proposé avec l’arsenal thérapeutique connu. A ce jour, une cohorte de 18 patients a été constituée. La revue rétrospective de ces cas montre un taux de succès de traitement de 83%, avec une durée de follow-up sans rechute de 4 ans. Ces résultats sont très largement supérieurs aux 26% de succès thérapeutiques rapportés en 2016 par l’Organisation Mondiale de la Santé pour la cohorte de tuberculoses présentant des profils de résistance analogues. La mortalité (10%) est également inférieure à celle de cohorte de l’OMS (30%). C’est par ailleurs la première étude qui fournit des chiffres de suivi sur une période de quelques années après la fin du traitement.Nos 18 cas ont également été repris dans une étude internationale multi-centrique comparant l’évolution de patients présentant une tuberculose multi-résistante selon qu’ils reçoivent, ou non, le méropénème-acide clavulanique dans leur traitement. Dans cette étude, également observationnelle et rétrospective, les patients qui ont reçu l’association méropénème-acide clavulanique dans leur traitement présentaient des tuberculoses causées par des germes beaucoup plus résistants que les patients du groupe contrôle. Parmi ces patients à haut risque d’échec thérapeutique, le taux de succès du traitement est identique à celui des patients présentant une tuberculose moins résistante. Comme les deux groupes ne sont pas comparables, une conclusion ferme ne peut pas être tirée. Les résultats suggèrent cependant qu’une combinaison thérapeutique incluant l’association méropénème-acide clavulanique peut diminuer le risque d’échec de traitement des tuberculoses avec un profil de résistance sévère. La revue de la littérature montre qu’aucune étude prospective contrôlée sur l’usage des associations carbapénème-inhibiteur de β-lactamase dans le traitement la tuberculose n’a été publiée. En effet, ce traitement, lourd et coûteux dans sa forme parentérale actuelle, convient mal à une étude contrôlée avec groupe placebo. Les centres qui ont utilisé une association carbapénème-inhibiteur de β-lactamase l’ont administrée, comme nous, en dernier recours.Sur base de nos résultats et de ceux collectés dans quelques autres centres, des indications potentielles d’une association carbapénème-inhibiteur de β-lactamase dans la tuberculose multi-résistante sont proposées : tuberculose causée par un germe résistant à pratiquement tous les antituberculeux, méningite causée par une tuberculeuse multi-résistante ou effets secondaires limitants des autres molécules disponibles.Les risques liés à une utilisation non contrôlée d’un antibiotique à spectre aussi large que celui des carbapénèmes sont discutés.Concernant les aspects organisationnels, nous proposons un modèle de prise en charge de la tuberculose multi-résistante centralisé et centré sur le patient. Cette approche est différente du traitement ambulatoire privilégié par l’Organisation Mondiale de la Santé dans les pays à ressources faibles.En effet, la plupart des cas de TB résistantes que nous diagnostiquons sont des personnes précarisées, migrants sans papiers ou demandeurs d’asile. Ils constituent la population la plus difficile à soigner et se concentrent dans les grandes villes où le risque de transmission est important. Pour aider les patients à terminer leur traitement et guérir ainsi que pour réduire le risque de transmission de la TB MDR au sein de la communauté, nous avons choisi de maintenir les patients hospitalisés en isolement respiratoire aussi longtemps qu’il y a un risque de transmission et de leur fournir le traitement dans le service de maladies infectieuses jusqu’à ce qu’une prise en charge ambulatoire soit possible. Cette approche centralisée nous a permis d’acquérir de l’expérience dans la prise en charge de cette maladie, rare dans notre pays, et nous a donné la possibilité d’instaurer des traitements empiriques lourds chez des patients dont le pronostic vital était menacé. Si les excellents résultats de traitement semblent justifier ce modèle de soins, l’hospitalisation prolongée dans un service aigu n’est pas sans inconvénient. D’une part, il s’agit de soins coûteux qui réduisent la disponibilité de lits aigus pendant de longues périodes. D’autre part, lorsque les patients refusent l’isolement respiratoire, les soignants sont confrontés à un dilemme éthique entre le respect de la liberté individuelle et la protection de la communauté. La création d’une unité spécifique, sorte de sanatorium moderne, dédiée aux patients présentant une tuberculose multi-résistante est une réponse qui nous semble proportionnée aux enjeux. Tous les patients, y compris les plus défavorisés, y bénéficieront d’un traitement individualisé de qualité et de conditions de séjour plus humaines. Située sur le campus d’un hôpital de référence pour la tuberculose, cette entité permettra également de poursuivre des activités d’enseignement et de recherche dans ce domaine.