Résumé : Longtemps oubliée des historiens de la littérature, Fanny de Beauharnais (1737-1813) a peu bénéficié du mouvement de redécouverte des femmes de lettres initié par les gender studies. Pourtant, l'analyse de sa trajectoire et de son œuvre se révèle riche en enseignements sur les stratégies d'écriture, de publication et de légitimation d'une femme auteur au tournant des Lumières.Hôtesse d'un salon mondain au long cours, actif des années 1760 à 1813, la comtesse de Beauharnais apparaît animée d'un vif désir de reconnaissance littéraire, à une période où publication féminine et mondanité ne vont pas de pair : l'ethos mondain interdit alors strictement toute prétention littéraire et intellectuelle aux " maîtresses de maison ". Partant de ce constat, le présent travail interroge d'une part les conséquences que cette double identité sociale d'hôtesse et d'auteure a pu avoir sur les pratiques et les enjeux de la sociabilité et, d'autre part, la manière dont Fanny de Beauharnais a mobilisé son réseau salonnier pour se faire une place dans le champ littéraire. La thèse dévoile ainsi les spécificités du cercle de la comtesse, qui apparaît comme un espace de sociabilité hybride, entre salon mondain et société littéraire, et s'attache à mettre en lumière les intérêts particuliers associés à sa fréquentation. À travers cette dernière question, une réflexion est également menée sur l'évolution de la sociabilité mondaine sous la Révolution, le Consulat et l'Empire, sujet encore peu traité par la critique. L'examen des enjeux de fréquentation du salon de Fanny de Beauharnais montre que celui-ci a continué à fournir des ressources aux hommes de lettres, tant en termes de construction posturale que de gains matériels. S'il a profité à ses habitués, le salon a aussi servi les ambitions de l'hôtesse : les membres du cercle ont encouragé et accompagné l'entrée en littérature de la comtesse. Forts de leur position dans les milieux littéraires et journalistiques, ils lui ont ouvert les colonnes des périodiques auxquels ils collaboraient ; ils ont promu ses qualités d'écrivaine et lui ont permis d'accéder aux instances de consécration littéraire (académies et mécénat d'état).Dans sa quête de renommée, Mme de Beauharnais a également développé des stratégies littéraires destinées à lui assurer visibilité et succès auprès d'un public essentiellement mondain. L'analyse de son œuvre, réalisée au dernier chapitre, révèle trois stratégies principales : le déploiement d'un ethos discursif mondain, appelé à faciliter l'entrée dans le champ littéraire ; le grossissement de son œuvre par la pratique des publications multiples et du " recyclage " de ses propres textes et, enfin, l'utilisation de thématiques et de veines littéraires à la mode pour conquérir le lectorat de son temps.