Résumé : L’eusocialité a conduit à l’émergence de comportements coopératifs permettant bien souvent aux insectes sociaux de dominer leur niche écologique. Mais cette haute organisation sociale a également diverses contraintes dont un risque sanitaire accru dû à la proximité physique et génétique des individus. Les sociétés d’insectes ont donc développé des mécanismes « d’immunité sociale » pour limiter leur exposition aux pathogènes ainsi que la transmission de maladies entre les membres du groupe. Durant cette thèse, nous nous sommes intéressés d’une part aux changements induits par une infection de contact chez les individus, dans leurs comportements, leurs interactions sociales et leur distribution spatiale ; et d’autre part aux mécanismes collectifs de gestion des risques sanitaires, particulièrement lors du processus de rejet de déchets contaminés et de sélection d’un site de nidification. Au niveau individuel, les ouvrières contaminées s’isolent spatialement à mesure que l’infection progresse, pour mourir loin de leur nid. Ce retrait spontané de la colonie n’est pas dû à un rejet actif par leurs congénères mais résulte d’une perte progressive d’attraction des individus infectés pour les stimuli liés au nid, un phénomène amplifié par des déficits locomoteurs juste avant leur mort. Ce comportement d’isolement spatial des individus moribonds apparait donc comme un mécanisme prophylactique simple mais efficace pour réduire l’exposition globale de la colonie aux pathogènes ainsi que les coûts de gestion des cadavres. Ces résultats ouvrent de nouvelles perspectives sur les mécanismes sous-jacents à ce comportement prophylactique, souvent perçu comme un retrait actif et altruiste des individus en fin de vie. Au niveau des comportements sanitaires collectifs, nous avons étudié l’impact de la taille de la population sur la capacité des colonies à gérer des déchets infectés à l’intérieur de leur nid. Nous avons montré que les grandes colonies résistent mieux à la présence de cette source infectieuse, notamment grâce à une plus grande rapidité dans le processus de rejet. De façon inattendue, certaines petites colonies développent une stratégie sanitaire alternative en quittant collectivement le nid contaminé, démontrant la plasticité phénotypique des stratégies hygiéniques dans les sociétés d’insectes. De plus, une identité coloniale semble exister dans l’efficacité des rejets de déchets, ce qui suggère l’importance des caractéristiques intrinsèques aux colonies dans leur profil hygiéniste. Lors du processus de nidification, notre étude a révélé une forte influence de la contamination du substrat sur la dynamique de creusement des nids ainsi que sur la morphologie de leurs patterns finaux. Tandis qu’une partie des colonies ont évité clairement les sols contaminés par les spores du champignon, d’autres ont montré au contraire une attraction, ce qui démontre la capacité des colonies à discriminer les substrats en fonction de leur pathogénicité. Cela suggère également que les colonies préférant les sites contaminés tirent certains avantages adaptatifs en termes de conditions abiotiques favorables ou d’amorçage immunitaire. Tous ces résultats confirment le rôle crucial des mécanismes d’isolement spatial des sources d’infections dans les stratégies prophylactiques et hygiéniques d’une société d’insectes. Cela soulève également d’intéressantes questions sur l’impact du génome, du milieu de vie et des expériences antérieures des colonies dans leur capacité à percevoir les risques sanitaires et à réguler leurs défenses sociales.