Résumé : Cette thèse examine les modes suruí de construction et d'élaboration du savoir véhiculées par la production de récits. Chez les Suruí, les enseignements à propos d'une série de faits accomplis constituent l'essence même du savoir d'origine humaine. Ces enseignements peuvent être véhiculés de plusieurs manières, notamment par des actes verbaux et non verbaux, mais dans la mesure où les formes les plus codifiées telles que l'exécution de certains rôles rituels et guerriers ont pratiquement disparues, ce sont aujourd'hui essentiellement les récits qui assument ce rôle. Or les mêmes faits produisent immanquablement des enseignements, donc des récits très différents selon la personne qui les évoque, ainsi que les circonstances et la personne à qui ces récits sont adressés. Face à la multiplication des versions, la thèse se propose à examiner les conditions d'élaboration narrative par les différents acteurs non d'un point de vue pragmatique, en tant que modalité d'action ou stratégie sociale ou politique, mais d'un point de vue cognitif: en vertu de quels principes un récit peut-il varier et, malgré cela, ou justement grâce à cela, satisfaire aux exigences épistémologiques en fonction desquelles il peut prétendre véhiculer un savoir, et de quelle manière une configuration précise du récit peut représenter pour son narrateur une solution au problème que l'élaboration narrative visait à résoudre en premier lieu? Il s'agit par là de montrer que les divergences et les antagonismes entre les récits sont produits en exploitant les propriétés des événements tels que les Suruí conçoivent la notion d'événement. Sous cet angle, le discours et la production narrative ne sont plus des modalités d'action sur la configuration sociale et politique, mais c'est la configuration sociale et politique qui est elle-même issue de cette façon particulière dont les Suruí pensent l'événement, laquelle engendre également la production narrative.
This research focusses on the suruí modes of construction and communication of knowledge conveyed by narrative productions. Among the Suruí, the lessons about a series of facts that have taken place constitute the essence of the knowledge of human origin. These lessons may be conveyed in different forms, including verbal and non-verbal acts. But insofar as the most codified forms such as the performance of ritual and war roles have mostly or totally disappeared, the narratives are what appears to currently assume this role. Yet, the same facts may and do lead to quite different lessons, hence quite different accounts, depending on the person who evokes them as well as the circumstances, and the person to whom they are told. Faced with the multiplication of versions, this work examines the circumstances of narrative production by the different actors not from a pragmatical perspective, as a mode of action or a strategy toward social or political achievements, but from a cognitive one: on which ground may an account vary, sometimes to such an extent that variation looks like straight inversion, and yet, or for that very reason, satisfy the epistemological requirements on which depends the claim that it conveys knowledge? And so, in virtue of what principle may any specific setting be considered by its narrator as a solution to the problem that the narrative construction was trying to solve in the first place? It shows that divergence and antagonisms between accounts are produced by exploiting properties of the events such as the Suruí think about the notion of event. From this viewpoint, speech and narrative production are no more modes of action toward social and political configuration, but it is the social and political configuration itself that stems from this particular way of thinking about facts, which also engender narrative production.