Résumé : La culture matérielle de l’Égypte ancienne est exceptionnellement riche et nous fournit de précieuses informations sur la société qui les a produites. Toutefois, les différents domaines couverts par cette documentation sont inégalement détaillés. En effet, la nature première des sources n’est pas désintéressée mais sert des objectifs administratifs, économiques, juridiques, religieux, ou encore idéologiques. De plus, les individus capables de lire et écrire sont peu nombreux et sont, pour la plupart, issus des couches aisées de la société. Aussi, les médias utilisés (la littérature, les représentations figurées, la sculpture, l’architecture, l’urbanisme, ...) ont pour objectif premier de véhiculer les idéaux de l’élite et de légitimer l’ordre social en place . Par conséquent, l’image qu’elle projette de la société, en particulier sur la hiérarchisation sociale, tend à être excessivement simplifiée et uniformisée.Au cours des dernières décennies, de nombreuses études ont été réalisées portant sur les différents groupes socio-professionnels qui apparaissent régulièrement dans la documentation égyptienne (des groupes de main-d’œuvre spécialisée, les artisans, les marchands, les prêtres, les scribes, etc.) . Cependant, appréhender en détail les conditions de vie de ces groupes et la place exacte qu’ils occupent dans la hiérarchie sociale reste un exercice délicat. Il n’est donc guère étonnant de relever qu’il existe encore relativement peu d’études détaillées portant sur la structure sociale de la société égyptienne .Dans cette discipline en plein développement, il est régulièrement fait mention des couches intermédiaires de la société sous l’appellation de « classe moyenne » égyptienne. Cette classe sociale rassemble des individus qui n’appartiennent ni à l’élite dirigeante, ni à la masse paysanne. Ils proviennent de milieux divers, allant des petits fonctionnaires occupant les échelons inférieurs de l’administration, de la prêtrise ou de l’armée, à un ensemble hétérogène d’individus de statut modeste mais jouissant d’une aisance économique relative. On y trouve notamment des artisans, des propriétaires agricoles, des marchands, ou encore de simples citadins. Ils disposent de moyens économiques suffisants pour leur permettre d’investir dans les espaces de commémoration et funéraires. Ces individus manquent de pouvoir politique et dépendent de l’état, ou des membres de l’élite, dont ils sont clients et pour lesquels ils doivent travailler . L’usage du terme « classe moyenne » est employé régulièrement par les historiens des sociétés anciennes. Pourtant, son emploi est rarement contextualisé et son interprétation est, dès lors, laissée à la seule appréciation du lecteur. Il s’agit pourtant d’une démarche préalable et indispensable car le terme « classe moyenne » revêt une notion idéologique importante, en lien avec les sociétés européennes modernes et contemporaines. Jusqu’à présent, relativement peu d’études exhaustives ont été consacrées à la « classe moyenne » égyptienne et ses contours ne sont que vaguement définis. L’emploi de ce terme semble être une solution idéale pour qualifier des individus dont la place exacte dans la hiérarchie sociale n’est pas connue, mais qui peut raisonnablement être considérée comme intermédiaire.J. Richards est l’une des rares égyptologues à s’être consacrée pleinement à l’étude de cette classe sociale. Toutefois, son champ de recherche s’est limité à la période de la fin du Moyen Empire (1939-1760 av. J.-C.). Elle a développé une approche archéologique de la « classe moyenne » tout en prenant en compte les données textuelles, iconographiques et l’analyse des établissements urbains. Cette approche très intéressante, que nous détaillerons au fur et à mesure de cette dissertation doctorale, est à la base de notre propre réflexion, orientée sur la période du Nouvel Empire (1570-1070 av. J.-C.). En effet, on dispose pour cette période d’une riche documentation archéologique et textuelle qui n’a pas encore fait l’objet d’une telle approche globale. Étant donné la longue durée de cette période de l’histoire égyptienne, nous avons centré notre recherche sur la XVIIIe dynastie (1570-1293 av. J.-C.). Cette période a fourni un bon nombre de cimetières publiés sur l’ensemble du territoire égyptien et constitue une période relativement homogène en ce qui concerne les pratiques funéraires, exception faite de l’épisode amarnien (1353-1320 av. J.-C.). Notre objectif est de faire une mise au point de la définition de la « classe moyenne » égyptienne et de tenter d’y apporter de nouveaux éléments grâce à l’étude des sources du Nouvel Empire. Nous adopterons une démarche archéologique en prenant en considération les vestiges funéraires de plusieurs nécropoles que nous avons sélectionnées. La forme généralement simple des tombes de la population égyptienne ne permet pas la conservation de vestiges architecturaux importants comme des installations cultuelles en surface. Dès lors, nous concentrerons principalement nos propos sur l’analyse du mobilier funéraire des tombes. En prenant en compte ce que l’on sait et ce que l’on est en droit d’attendre d’une « classe moyenne » égyptienne, nous tenterons de déterminer si des assemblages funéraires particuliers sont caractéristiques de la « classe moyenne » égyptienne.Le plan de la thèse s’organise en six chapitres. Afin d’en faciliter la lecture, un second volume contient l’ensemble des images auxquelles le texte renvoie. Le lecteur trouvera également un DVD contenant le corpus de tombes informatisé au format du logiciel SPSS, ainsi que les fichiers au format PDF reprenant les résultats détaillés des diverses analyses descriptives réalisées. Nous y avons également joint une copie numérique des deux volumes de la thèse et une copie JPEG des plans de la plupart des cimetières ou tombes abordées.Le premier chapitre exposera les caractéristiques de la « classe moyenne » égyptienne. Après une courte présentation de la structure de la société pharaonique, nous discuterons de la définition de la « classe moyenne » et de la pertinence de chercher un équivalent de cette classe sociale dans les sociétés anciennes. En effet, cette volonté de regrouper les individus en différentes classes partageant un mode de vie et des intérêts communs s’inscrit dans la tradition sociologique et historique des Temps Modernes. On peut toutefois s’interroger si cette grille d’analyse des sociétés modernes et contemporaines peut être adaptée à l’étude de la société égyptienne. Pour étayer notre argumentation, nous proposons une étude comparative en exposant brièvement les recherches sur la « classe moyenne » de plusieurs historiens spécialistes des sociétés du Mexique ancien et du Haut-Empire romain. Nous examinerons ensuite les principales sources égyptiennes qui ont permis d’affirmer l’existence d’un groupe similaire dans la société pharaonique. Une première partie consiste en un examen des sources du Moyen Empire. En effet, on considère traditionnellement que c’est au cours de cette période qu’émerge la « classe moyenne » égyptienne. Les sources datant de cette époque occupent dès lors une place importante dans la définition de la « classe moyenne » égyptienne. La seconde partie est consacrée à un examen détaillé de deux grands corpus documentaires du Nouvel Empire : le village de Deir el-Médineh et la ville d’el-Amarna.Les caractéristiques de la « classe moyenne » ainsi identifiées, nous prolongerons la recherche dans le deuxième chapitre en se concentrant sur les aspects funéraires. L’objectif est de développer un raisonnement théorique sur ce qui caractérise les assemblages funéraires de la « classe moyenne » et de proposer une méthode d’analyse du corpus de tombes. En premier lieu, nous aborderons les diverses significations que peuvent revêtir la tombe en Égypte ancienne et les informations potentielles qu’elle peut nous transmettre sur les défunts. Ensuite, nous présenterons plusieurs études traitant de l’analyse des vestiges funéraires qui ont influencé notre réflexion et notre méthodologie. Nous attirerons également l’attention sur les limites de la documentation archéologique employée ainsi que sur divers aspects qu’il est nécessaire de considérer dans l’analyse de l’assemblage funéraire. Enfin, en prenant en compte les divers éléments soulignés au cours de ce chapitre, nous exposerons notre méthodologie en matière d’analyse des tombes.Le troisième chapitre sera consacré à la présentation des nécropoles que nous avons sélectionnées dans le cadre de cette étude. Dans la mesure du possible, nous avons choisi des nécropoles réparties sur l’ensemble de la Vallée du Nil, liées à des établissements de nature différente : centres urbains, centres provinciaux et établissements ruraux. Au total, ce sont huit nécropoles pouvant comprendre plusieurs cimetières qui ont été retenues. En fonction de la qualité des registres de tombes fournis pour ces différents cimetières, un corpus informatisé reprenant 1161 tombes a été créé à l’aide du logiciel d’analyse statistique SPSS. Ce chapitre sera également l’occasion de présenter au lecteur les principales caractéristiques des tombes rencontrées dans les cimetières et d’attirer l’attention sur des tombes particulières. Une analyse de l’organisation spatiale des différents cimetières au sein des nécropoles sera également proposée en fonction des informations disponibles.L’analyse détaillée du mobilier funéraire sera répartie, pour plus de facilité, dans les quatrième et cinquième chapitres. Le chapitre 4 présente les caractéristiques des tombes prises en compte pour la création de la base de données SPSS. La majorité d’entre elles se compose des objets meublant la tombe, répartis en différentes catégories. Chacune d’elle fait l’objet d’une courte présentation qui n’a pas pour vocation d’être exhaustive, mais de présenter au lecteur les principales caractéristiques des objets prises en compte lors de l’analyse et l’interprétation des résultats. Celles-ci seront présentées en détail dans le chapitre 5. Plusieurs types d’assemblages funéraires correspondant aux observations seront alors proposés.En guise de conclusion, le sixième chapitre sera consacré à une synthèse générale reprenant les différentes caractéristiques de la « classe moyenne » égyptienne qui ont été mises en avant tout au long de cette dissertation doctorale. En analysant l’ensemble de ces éléments, plusieurs types d’assemblages funéraires correspondant à la « classe moyenne » seront alors proposés.