Résumé : Avec le renforcement des frontières extérieures de l'Union européenne, les îles en Méditerranée sont devenues des lieux clés de la politique de contrôle migratoire. Cette thèse s'intéresse au cas de Malte. Contrairement à Lampedusa ou Lesbos où les migrants qui y sont acheminés sont ensuite transférés vers une métropole, les migrants escortés sur le territoire maltais sont contraints, par la législation européenne, à demeurer sur l'île-Etat. Cette gestion des flux migratoires a impliqué une présence durable de populations subsahariennes sur l'île dont le traitement et l'expérience sont marqués par l'illégalité. En combinant l'analyse des politiques publiques avec l'anthropologie des camps d'enfermement et les governmentality studies, cette thèse pose les questions suivantes : comment les migrants deviennent-ils l'objet de stratégies gouvernementales depuis l'adhésion de l'île-Etat à l'Union européenne en 2004 et comment y réagissent-ils par leurs pratiques ? Dans une ambition théorique, comment conceptualiser ces modes de gouvernementalité ? La littérature sur le contrôle migratoire tend à étudier tantôt les concepteurs et les opérateurs de ces politiques tantôt les populations cibles. En cela, ce champ d'études a tendance à reproduire implicitement la déconnexion opérée par les politiques publiques entre gouvernés et gouvernants. Prenant le contre-pied de ces approches, ce travail se propose de considérer cette déconnexion comme un objet d'étude à part entière. La fabrique du contrôle migratoire sera envisagée comme un processus auquel prennent part, tout en étant déconnectés, tant les récepteurs que les concepteurs. Ces derniers exercent leur agency dans une relation de pouvoir asymétrique. Dans cette perspective, je proposerai le concept de gouvernementalité transnationale à partir de l'étude de la construction des migrations subsahariennes à Malte comme problème européen, de l'enfermement des migrants sur l'île et des politiques de relocalisation et de réinstallation. A la différence des travaux centrés autour de la problématique de l'Etat, le concept de gouvernementalité transnationale permet de relativiser la centralité de la souveraineté. La gestion des migrations est envisagée comme le résultat de négociations politiques entre des acteurs nationaux, internationaux et non-gouvernementaux qui traversent les frontières étatiques. Partant l'enjeu n'est plus d'identifier quels acteurs détiennent le monopole du contrôle migratoire mais quelles sont les formes de contrainte qui s'exercent sur les migrants et quelles sont les marges de manœuvre dont ils disposent ? Sont-ils face à des techniques de pouvoir essentiellement restrictives et punitives ? Je montrerai que la gouvernementalité transnationale des migrations repose en partie sur l'exercice de la violence. L'enfermement systématique des migrants à l'arrivée peut-être prolongé mais il est transitoire ayant vocation à redistribuer les flux migratoires. Il s'apparente à une forme de biopolitique qui s'exerce sur des groupes plutôt que sur des individus. Les migrants sont catégorisés en fonction de critères juridiques et ethniques. Ces derniers sont classés et hiérarchisés en fonction de (non)statuts juridiques qui recoupent leur nationalité. Par ailleurs, les migrants sont présentés par les concepteurs de la politique migratoire de Malte comme étant immobilisés sur une île-frontière de l'Union européenne, ce qui justifie la mise en œuvre des politiques de relocalisation et de réinstallation. Néanmoins, si les migrants sont enfermés de manière temporaire sur l'île, ils sont en fait mobiles. En cela, ils constituent les véritables acteurs transnationaux de cette forme particulière de gouvernementalité. En revanche, le quotidien de l'attente vécu par les migrants à Malte ne se comprend comme un effet pervers et non prévus du dispositif européen de contrôle des frontières mais comme partie intégrante.
Due to the strengthening of the external borders of the European Union (EU), the islands of the Mediterranean became key sites of migration control policies. This doctoral research focuses on the case of Malta. Unlike Lampedusa or Lesbos from where migrants are transferred to mainland Europe, the island-state of Malta has to contain migrants who have been escorted to the Maltese territory, according to EU legislation. This management of migration flows has led to the settlement of Sub-Saharan populations on the island and whose treatment and experience are marked by illegality. This dissertation combines public policies analysis, anthropology of confinement with governmentality studies and asks the following questions: how have migrants become the object of governmental strategies following the accession of the island-state to the EU in 2004 and how have migrants reacted to them? How can we to conceptualise these modes of governmentality? The literature on migration control tends to study either policy-makers or target population. In doing so, it reproduces implicitly the disconnection between those who govern and those who are governed. To the contrary, this disconnection is at the centre of my research. I consider migration control as a process involving both policy-makers and beneficiaries, even if they are disconnected. They are subjected to asymmetrical power relations in which they both exercise agency. Following this perspective, I use the concept of transnational governmentality to study how Sub-Saharan migrants in Malta are constructed as an EU problem, how they are detained on the island and become the object of relocation and resettlement policies. Unlike studies that focuse on the State theory, the concept of governmentality goes beyond the centrality of sovereignty. The management of migration is the result of political negotiations between national, international and non-governmental actors. As such, my goal is not to identify who controls migration but rather what forms of coercion are exercised over migrants and how migrants circumvent the constraints imposed upon them. I demonstrate that transnational governmentality partly relies on the exercise of physical violence. Mandatory detention is implemented upon arrival and can last up to 18 months and it aims at redirecting migration flows. In this sense, detention is a form of biopolitics that is exercised over groups rather than over individuals. Migrants are categorised according to legal and ethnic criteria. They are classified and ranked by legal (non-)statuses that overlap with nationality. Although migrants are presented as immobilised populations on an island-border of the EU, which legitimises the implementation of resettlement and relocation policies, they are temporarily contained and they are actually mobile. As such, they are the real transnational actors of governmentality. However, the expectance of relocation, resettlement or departure that migrants experience on the island, is not understood as a side-effect of EU border control policies but as an actual part of them.