Résumé : Cette thèse interroge l’idée d’adolescence et son édification en tant que catégorie d’âge à travers l’intégration des filles en son sein. Le contexte de la Belgique francophone de 1919 à 1960 offre la toile de fond de cette étude qui a pour but d’analyser la « circulation créative » de l’idée d’adolescence, de saisir les effets de cette circulation du savoir aux institutions, du social au culturel. Pour vérifier cette « circulation créative », le corpus de source se devait d’être hétérogène. Aussi est-ce aussi d’un corpus de sources éclaté que cette étude s’est articulée. Ma recherche se structure autour de cinq parties, cinq lieux au sein desquels l’idée d’adolescence a été mobilisée. Il s’agit à travers ces différentes thématiques de saisir comment la notion d’adolescence a été utilisée, par quels acteurs et dans quel but. La première s’intéresse à l’adolescence en tant qu’objet de savoir. Cette partie présente les idées fondatrices et analyse le cadre conceptuel dans lequel l’adolescence a été formulée par les scientifiques. La « formule adolescente » proposée par les œuvres pionnières élaborées au cours des deux premières décennies du 20e siècle feront longtemps référence. Au moment où des experts – pédagogues et psychologues en première ligne, les sociologues bien plus tard – tentent de renouveler ce savoir, de nombreuses questions méthodologiques et épistémologiques surgiront. Dans leur volonté de résoudre ces questions se lisent les difficultés de définir l’adolescence, mais surtout elles dévoilent les ambiguités et les paradoxes à l’oeuvre dans la construction d’une catégorie que l’on a volontiers décrit comme « universel ». Au sein de ces débats, demeure une autre grande absente : la féminité. La seconde partie s’attèle à analyser conjointement la féminité et l’adolescence et tend à débusquer la féminité au sein des études sur l’adolescence. D’emblée, celles-ci envisagent la féminité comme un « problème » à la formule adolescente. À travers cette partie, j’entends analyser le prototype narré par les spécialistes de l’adolescence qui permet de saisir les difficultés de penser l’adolescente au sein du « social ». Ce modèle est par ailleurs élaboré lui aussi sur les filles des classes-moyennes et de la bourgeoisie urbaine. Car un problème se pose : la Belgique de cette période ne dispose pas encore des structures d’encadrement nécessaires au déploiement institutionnel de l’adolescence. Aussi une large majorité des jeunes restent hors des définitions étroites proposées par les premières théories : les enfants des classes ouvrières et rurales doivent alors être pensés autrement. Le vécu des filles des classes ouvrières et rurale entre alors en conflit avec ce prototype. C’est ce qu’analyse la troisième partie à travers l’étude des écrits de divers mouvements sociaux qui en dénonçant les conditions de vie des filles de ces milieux ont érigé l’adolescence à la fois comme une vérité, mais également comme un privilège à réaliser pour toutes. Ce privilège, on le lit d’une manière presque évidente, c’est la « protection », celle dont bénéficient les filles des milieux privilégiés. Il s’agit alors de penser la protection de celles que l’on décrit volontiers comme vulnérables. L’école apparaît alors comme « la » solution. Cepedant il existe plusieurs écoles : celle des filles, celle du peuple et celle des filles du peuple. À travers l’analyse des grands débats pédagogiques qui ont secoué la Belgique au cours de cette période tels que l’obligation scolaire, la coéducation, la féminisation des programmes, l’école buissonnière ou encore le surmenage scolaire observe l’hypothèse du « grand renfermement scolaire » de l’historien français Philippe Ariès. L’école apparaît bel et bien comme le lieu unique où pourra se réaliser l’adolescence. Enfin, dans une dernière partie, il s’agit de découvrir comment l’adolescence est entrée dans les textes de lois. C’est à travers les « lois sur la protection morale de l’enfance » que j’ai choisi de le faire. Cette partie permet de saisir le glissement de l’enfance à la jeunesse, en creux l’appréhension politique de la puberté dans l’élaboration de ces textes.