Résumé : Les mesures d’efficience énergétique sont généralement promues pour combattre le changement climatique, assurer la sécurité énergétique, augmenter la compétitivité et en raison de leur bon retour sur investissement. Toutefois, si l’efficience énergétique des différents secteurs de la société (industrie, bâtiments, transports, appareils, etc.) s’améliore, la consommation d’énergie ne cesse également d’augmenter. Ce constat contrariant peut être partiellement expliqué par ce qu’on appelle l’« effet rebond ». Cet effet est traditionnellement défini comme le changement de comportement d’un utilisateur suite à l’amélioration de l’efficience énergétique de telle sorte que sa consommation d’énergie est supérieure à ce qui est prévu par un modèle d’ingénieur. L’amplitude de cet effet, particulièrement au niveau macro-économique, est toutefois controversée. De même, il n’y a pas d’accord sur la classification des effets rebonds. Cette thèse part de l’hypothèse que les controverses sur les effets rebonds proviennent du fait qu’ils peuvent se produire à différentes échelles temporelles et spatiales, et que diverses disciplines capturent certains mécanismes car elles cadrent différemment leurs objets d’étude. Je montre que les mécanismes des effets rebonds peuvent être décrits comme la combinaison de deux efficiences. Premièrement, l’efficience énergétique mesure un rapport de production/consommation d’un individu (une machine ou un être vivant, par exemple). Deuxièmement, l’efficience temporelle mesure la vitesse à laquelle les activités de production/consommation sont menées (par une entité ou un ensemble d’entités). Lorsque les corps sont liés entre eux, notamment par des échanges de matière et d’énergie, une amélioration de l’efficience énergétique implique une augmentation de l’efficience temporelle. Cette augmentation n’est pas immédiate, mais elle est d’autant plus rapide que les corps ont à leur disposition des infrastructures qui permettent d’accéder à l’énergie. La combinaison des deux efficiences s’observe dans quatre cadres disciplinaires : écologie, technologie, économie néo-classique, sociologie des pratiques. En écologie, les deux efficiences procurent des avantages évolutifs, et sont appelés principes de la « production minimale d’entropie » et « puissance maximale ». Le développement technologique nous montre comment les deux efficiences se renforcent mutuellement via des réseaux de distribution et autres infrastructures. En économie néo-classique, l’efficience énergétique répond à la maximisation d’une fonction mal identifiée (profit ou utilité). En sociologie des pratiques, l’efficience temporelle joue un rôle majeur dans la multiplication des tâches déléguées à des machines — qui existent grâce à l’amélioration de leur efficience énergétique. En conclusion, ce n’est pas uniquement l’efficience énergétique qui est responsable des effets rebonds, mais sa combinaison avec l’efficience temporelle. Les effets rebonds dépendent de l’intensité des couplages colatéraux entre les machines et les corps. Habituellement ce couplage est estimé petit (il est totalement absent dans le cadre néo-classique). On peut pourtant contester cette hypothèse dans la mesure où ce couplage crée et multiplie les activités humaines. La part de la consommation exosomatique en comparaison à la consommation endosomatique montre l’ampleur de ce couplage. Pour limiter les effets rebonds, il convient de déconnecter les deux efficiences et les relations qui les renforcent.