Résumé :

Depuis 20 à 30 ans, l'aide multicritère à la décision est apparue. L'expansion de cette nouvelle discipline s'est marquée dans la littérature essentiellement par un foisonnement de nouvelles méthodes multicritères d'aide à la décision et par des applications de celles-ci à des problèmes "réels". Pour la plupart de ces méthodes, il n'y pas ou peu de fondements théoriques. Seul le bon sens a guidé les créateurs de ces méthodes.

Depuis une dizaine d'années, le besoin de bases théoriques solides se fait de plus en plus sentir. C'est dans cette perspective que nous avons réalisé le présent travail. Ceci étant dit, nous n'allons pas vraiment nous occuper de méthodes multicritères à la décision dans ce travail, mais seulement de fragments de méthodes. En effet, les méthodes multicritères d'aide à la décision peuvent généralement être décomposées en trois parties (outre la définition de l'ensemble des alternatives et le choix des critères):

  1. Modélisation des préférences: pendant cette étape, les préférences du décideur sont modélisées le long de chaque critère.

  2. Agrégation des préférences: un modèle global de préférences est construit au départ des modèles obtenus critère par critère à la fin de la phase précédente.

  3. Exploitation des résultats de l'agrégation: du modèle global de préférences issu de la phase 2, on déduit un choix, un rangement, une partition, ... selon les besoins.

Jusqu'à présent, à cause de la difficulté du problème, peu de méthodes ont été axiomatisées de bout en bout; la plupart des travaux ne s'intéressent qu'à une ou deux des trois étapes que nous venons de décrire.

Nous nous sommes intéressés à une méthode bien connue: la méthode de Borda. Elle accepte comme données de départ des relations binaires. Elle intervient donc après la phase de modélisation des préférences. Le résultat de cette méthode est un rangement. Elle effectue donc les opérations correspondant aux étapes 2 et 3. Dans la suite de ce travail nous appellerons méthode de rangement toute méthode effectuant les étapes 2 et 3 pour aboutir à un rangement. Etant donné que les méthodes de rangement, celle de Borda en particulier, sont utilisées également en choix social, nous puiserons abondamment dans le vocabulaire, les outils et les résultats du choix social. Les résultats présentés seront valides en choix social, mais nous nous sommes efforcés de les rendre aussi pertinents que possible en aide multicritère à la décision.

Dans le chapitre II, après quelques définitions et notations, nous présentons quelques méthodes de rangement classiques, y compris la méthode de Borda, et quelques résultats majeurs de la littérature. Nous généralisons une caractérisation des méthodes de scorage due à Myerson (1995).

Nous nous tournons ensuite vers les relations valuées. La raison en est la suivante: elles sont utilisées depuis longtemps dans plusieurs méthodes multicritères et, depuis peu, elles le sont aussi en choix social (p.ex. Banerjec 1994) car elles permettent de modéliser plus finement les préférences des décideurs confrontés à des informations incertaines, imprécises, contradictoires, lacunaires, ... Nous commençons donc le chapitre III par des notations et définitions relatives aux relations valuées.

Ensuite, nous présentons quelques méthodes de rangement opérant au départ de relations valuées. C'est-à-dire des méthodes de rangement qui agissent non pas sur des relations nettes, mais sur des relations valuées et qui fournissent comme précédemment un rangement des alternatives. N'ayant trouvé dans la littérature aucune méthode de ce type, toutes celles que nous présentons sont neuves ou des généralisations de méthodes existantes; comme par exemple, les méthodes de scorage généralisées, que nous caractérisons en généralisant encore une fois le résultat de Myerson.

Nous présentons enfin ce que nous appelons la méthode de Borda généralisée, qui est une des généralisations possibles de la méthode de Borda au cas valué. Nous basant sur un article de Farkas et Nitzan (1979), nous montrons que contrairement à ce qui se passait dans le cas particulier envisagé par Farkas et Nitzan (agrégation d'ordres totaux), la méthode de Borda généralisée (et sa particularisation au cas net) n'est pas toujours équivalente à la méthode proximité à l'unanimité. Cette dernière méthode classe chaque alternative en fonction de l'importance des changements qu'il faudrait faire subir à un ensemble de relations pour que l’alternative considérée gagne à l'unanimité. Nous identifions quelques cas où l'équivalence est vraie.

Ensuite, nous reprenons un résultat de Debord (1987). Il s'agit d'une caractérisation de la méthode de Borda en tant que méthode de choix appliquée à des préordres totaux. Nous la généralisons de deux façons au cas de la méthode de Borda en tant que méthode de rangement appliquée à des relations valuées. Lorsqu'on applique la méthode de Borda, on est amené à calculer une fonction à valeurs réelles sur l'ensemble des alternatives.

La valeur prise par cette fonction pour une alternative s'appelle le score de Borda de cette alternative. Ensuite, on range les alternatives par ordre décroissant de leur score de Borda. La tentation est grande - et beaucoup y succombent (peut-être avec raison) d'utiliser le score de Borda non seulement pour calculer le rangement mais aussi pour estimer si l'écart entre deux alternatives est important ou non (voir par exemple Brans 1994). Cette approche n'a, à notre connaissance, jamais été étudiée d'un point de vue théorique. Nous présentons deux caractérisations de la méthode de Borda utilisée à cette fin.

Dans la dernière partie du chapitre III, nous abandonnons la démarche qui visait à caractériser une méthode par un ensemble de propriétés le plus petit possible. Nous comparons 12 méthodes sur base d'une vingtaine de propriétés. Les résultats de cette partie sont résumés dans quelques tableaux.

Ce travail aborde donc la méthode de Borda et sa généralisation au cas valué sous différents angles. Il livre une série de résultats qui, espérons-le, devraient permettre de mieux comprendre la méthode de Borda et peut-être de l'utiliser à meilleur escient. Toutefois, quoique notre objectif ait été de présenter des résultats pertinents en aide multicritère à la décision (et nous avons fait des progrès dans ce sens), il reste du chemin à faire. Nous sommes probablement encore trop proche du choix social. Ceci constitue donc une voie de recherche intéressante, de même que l'étude d'autres méthodes de rangement et l'étude de méthodes complètes d'aide multicritère à la décision: modélisation du problème (identification du ou des décideur(s), des alternatives et des critères), modélisation des préférences, agrégation des préférences et exploitation des résultats de l'agrégation.