Résumé :

Partant du mouvement managérial de remise en cause de l'organisation classique aussi appelée bureaucratie mécaniste ou encore entreprise taylorienne et fordienne qui a pris vigueur au début des années 80, l'architecture de cette thèse se structure en trois parties étroitement interdépendantes.

La première partie porte sur l'innovation managériale, c'est-à-dire sur les doctrines et les outils de gestion qui, à partir de la fin du siècle passé et du début de ce siècle, ont façonné l'histoire du management. Le regard porté conduit à relativiser voire à rompre avec certains lieux communs. Ainsi force est de constater que l'entreprise classique a fait l'objet au cours du temps d'un certain nombre de critiques, d'un certain nombre de tentatives d'aménagement voire même de dépassement. Notons toutefois que, par rapport aux tentatives précédentes, celle qui a débuté au début des années 80 apparaît beaucoup plus profonde au niveau des intentions et surtout beaucoup plus largement partagée par les managers. Par ailleurs, la lecture avancée insiste sur la dimension cyclique de l'histoire du management. Enfin, concernant la période actuelle, l'idée de mode est réfutée au profit de celle d'un construit étalé dans le temps.

La deuxième partie est consacrée à une étude de cas portant sur une grande entreprise sidérurgique. L'analyse faite s'articule autour du concept de bloc sociotechnologique dont la paternité revient à Pierre Bouvier (Le travail au quotidien: une démarche socio anthropologique, Paris, PUF, 1989). Dans cette optique, l'histoire récente de l'entreprise peut être posée comme celle du passage d'un bloc à un autre, c'est-à-dire d'une articulation relativement cohérente entre des variables différentes sociale, économique, politique, technologique... à une autre. Pour le faire ressortir, trois histoires connexes ont été relatées et analysées en détail:

La première histoire est micro-économique. Elle fait une large place à la crise comme élément de rupture par rapport au passé et aux restructurations successives qu'elle a entraînées. Sur la durée, celles-ci sont particulièrement révélatrices de l'évolution des rapports de force entre les acteurs. Elles mettent également en lumière les "dégâts" humains et sociaux provoqués par la modernisation.

La deuxième histoire est relative à l'évolution technologique. En sidérurgie, comme dans la plupart des secteurs traditionnels, les nouvelles technologies de l'information et de la communication sont venues véritablement bouleverser les univers de travail. A ce niveau, l'analyse s'est centrée sur les multiples effets socio-organisationnels liés à l'informatisation des outils.

La troisième et dernière a trait à la modernisation managériale. Dans le cas particulier de l'entreprise, elle débute à la fin des années 70 avec l'arrivée d'un nouveau directeur général. Toutefois, ce n'est qu'au début des années 80 que la volonté de renouveau managérial commence réellement à se concrétiser avec le développement des cercles de qualité et de progrès. Par la suite, l'entreprise ne cessera d'innover. Ainsi, vers la fin des années 80, la direction adopte la qualité totale comme mode de management. Dans ce cadre, elle multiplie les nouveaux concepts et les nouveaux outils de gestion: plan d'amélioration de la qualité, assurance qualité, topomaintenance, statistical process control, prime de progrès, etc. Enfin, après avoir réalisé d'importantes économies et fiabilisé son processus de production, vers le milieu des années 90, la direction témoigne d'une volonté de repenser son mode d'organisation et de gestion du personnel. Ainsi, par exemple, il est de plus en plus question d'organisation apprenante ou qualifiante.

Chacune de ces innovations a fait l'objet d'une présentation et d'une analyse socio-organisationnelle approfondie. Sans entrer dans les détails, soulignons cependant que la mise en oeuvre d'une nouvelle organisation du travail et d'une gestion individualisée des carrières vient en quelque sorte finaliser l'émergence d'un nouveau bloc sociotechnologique.

Quant à la troisième partie, elle est consacrée à une lecture théorique de l'innovation managériale à partir des concepts de l'analyse stratégique. Toutefois, la mobilisation du cadre théorique développé par Michel Crozier et Erhard Friedberg a également conduit à en souligner certaines limites dont le rejet de la dimension historique de l'organisation et de ses acteurs.