Résumé : Introduction

Depuis une quinzaine d'années en Afrique, cercles de qualité, audits cliniques, cycles de résolution de problèmes et autres 'projets qualité' ont été mis en oeuvre dans les services publics de santé pour améliorer la qualité des soins. Ces projets ont souvent mis l'accent sur des approches participatives, la résolution locale de problèmes et le changement, bousculant les pratiques managériales traditionnelles. A court terme, les évaluations montrent l'amélioration des résultats de programmes ou d'activités. Mais la pérennité de la dynamique reste largement à prouver. Le véritable aboutissement d'un programme d'assurance qualité devrait être apprécié à l'aune de sa capacité à mettre la préoccupation pour la qualité au cœur du management et du fonctionnement du système, et ce de façon continue. C'est en effet la vision moderne de l'assurance qualité déclinée dans les approches du management de la qualité totale, de l'amélioration continue de la qualité ou de l'organisation apprenante.

Méthode

La définition, la mesure et le management de la qualité en santé se révèlent être beaucoup plus qu'une simple procédure technique: c'est un processus social dans un système complexe dont l'étude requiert une approche méthodologique appropriée (Chapitre 1). Notre objectif est d'explorer dans quelle mesure les projets qualité ont permis aux systèmes de santé d'adopter les principes du management de la qualité.

Nous proposons de conduire une 'évaluation réaliste' de projets qualité en Afrique (Chapitre 2). Conceptualisée par Pawson et Tilley (1997) dans le domaine des sciences sociales, l'évaluation réaliste ('realistic evaluation') est une approche méthodologique de la famille des theory based evaluations. Au-delà du constat d'un effet produit par une intervention, l'évaluation réaliste cherche à comprendre ce qui marche, pour qui, dans quelles circonstances et comment. Alors que les résultats issus de la 'grounded theory', de la recherche action et d'autres méthodes de recherche sur les systèmes de santé restent très liés à un contexte, l'évaluation réaliste génère des théories intermédiaires ('middle range theories') qui permettent d'étendre la validité des interprétations au-delà d'un contexte particulier. Construite autour d'études de cas menées dans des contextes multiples et variés, l'évaluation réaliste met en effet l'accent sur l'interaction entre le contexte et la logique d'une intervention.

Résultats

Afin de construire une théorie initiale, nous comparons les systèmes de santé Européens et Africains à l'aide des configurations organisationnelles de Mintzberg (chapitre 3). Nous mettons ainsi en évidence le rôle joué par la nature bureaucratique ou professionnelle de la configuration des organisations de santé dans les résistances à l'introduction des principes du management de la qualité.

Nous menons ensuite une série d'études de cas au Niger, en Guinée, au Maroc et au Zimbabwe pour étudier cette interaction. Dans une première série comparative de trois études de cas (Chapitre 4), nous mettons en évidence la tension qui existe entre la logique de commande et de contrôle des organisations bureaucratiques et la logique de l'assurance qualité valorisant la prise d'initiative de changement par des équipes non hiérarchisées. Nous explorons ensuite cette tension dans trois études de cas distinctes au Zimbabwe et au Maroc. Laissées à la merci des contraintes bureaucratiques, les initiatives locales pour améliorer la qualité apparaissent dépendantes de la capacité des acteurs à développer des stratégies de contournement (Chapitre 6). Faute de quoi elles doivent réduire fortement leurs ambitions à moins qu'elles ne bénéficient d'un soutien émanant d'une institution située hors de la ligne hiérarchique mais reconnue légitime (Chapitre 5). Les systèmes publics de santé de ces pays, conçus comme des organisations bureaucratiques structurées autour de relations hiérarchiques de commande et de contrôle tolèrent une démarche qualité, valorisant l'innovation, la créativité, la prise d'initiative locale et le travail en équipes non hiérarchisées, à la condition qu'elle se déroule à l'abri d'un projet. Force est de constater que ces dimensions clé de la culture qualité n'ont pas fondamentalement ni durablement imprégné des pratiques de management restées bureaucratiques. L'émergence d'une véritable 'culture qualité', un produit attendu de l'introduction de projets qualité, ne semble pas s'être produite au niveau organisationnel (Chapitre 7).

Nous procédons ensuite à la synthèse 'réaliste' de l'ensemble de nos études de cas (Chapitre 8). Nous en tirons les leçons sous la forme d'un enrichissement progressif de notre théorie initiale. Nous pouvons alors formuler une théorie améliorée, toujours intermédiaire et provisoire, dérivée de nos théories intermédiaires successives.

Discussion

Notre discussion s'organise autour de deux thèmes (chapitre 9).

Dans une première partie, nous discutons le potentiel et les limites de nos résultats et de l'approche réaliste de l'évaluation. Nous montrons que nos résultats sont des théories provisoires et incomplètes, deux caractéristiques d'une middle range theory. En dépit de ces limites, l'approche réaliste est potentiellement très riche pour interpréter les effets d'interventions dans des systèmes complexes. Elle se situe dans une perspective d'aide à la décision pour orienter l'action sur le terrain plutôt que dans une perspective de genèse de lois universelles. Elle représente une avancée méthodologique particulièrement pertinente pour la recherche sur les systèmes de santé dans un monde turbulent où de multiples initiatives se télescopent.

Dans une deuxième partie, nous discutons les conséquences de nos résultats pour le futur de l'assurance qualité dans les systèmes de santé. Les projets qualité étudiés ne parviennent pas à changer une culture organisationnelle bureaucratique qui compromet pourtant leur pérennisation. Nous envisageons alors les stratégies susceptibles de permettre à la culture qualité de s'épanouir et au contexte organisationnel d'évoluer en conséquence. Décentralisation et nouveau management public, en vogue hier et aujourd'hui, montrent leurs limites. Il faut probablement trouver un équilibre entre trois idéaux-types décrits par Freidson: l'idéal-type bureaucratique, malmené par les stratégies de débrouille locale, l'idéal-type du marché, valorisant l'initiative, et l'idéal-type professionnel, émergent mais encore embryonnaire en Afrique. Finalement, à côté des mécanismes du contrôle et de la compétition, un troisième mécanisme régulateur devrait prendre toute sa place: la confiance.

Introduction

For nearly two decades in Africa, quality circles, clinical audits, problem solving cycles and other quality projects have been implemented in public health services to improve quality of care. Challenging traditional managerial practices, these projects usually emphasized participatory approaches, local problem solving and change. At short term, evaluation shows improvement in programs and activities output. However the capacity to put quality at the heart of system's management should be considered as the genuine achievement of a quality assurance program. Did quality projects contribute to the adoption of quality management principles by health systems ? This is the question addressed in the present thesis.

Method

Our methodology belongs to the realistic evaluation paradigm conceptualized by Pawson and Tilley and focuses on the interaction between an intervention mechanism and its context in order to understand what works, for whom, in what circumstances and how ? Based on case studies in various contexts in Niger, Guinea, Morocco and Zimbabwe, we build a middle range theory, that explains organizational behavior towards quality management.

Results

Based on Mintzberg's models, we show the role of health care organizational configuration in resisting to quality management principles. We then explore the tension between the bureaucratic organization's command and control approach and the quality assurance approach promoting initiative and change through team work. Local initiative had to develop coping strategies to overcome bureaucratic constraints. Failing to do so, ambitions had to be reduced unless there was support from an external, yet legitimate institution. Public health systems of these countries, structured as command and control hierarchical organizations, allowed innovation, creativity, local initiative and non hierarchical relationships as long as they developed within the boundaries of a project. However, these key characteristics of a quality culture did not permeate routine management. The quality culture shift expected from quality projects does not seem to have happened at organizational level.

Discussion

We first discuss the potential and limitation of realistic evaluation which appear particularly relevant for complex health systems research. We then discuss consequences of our results on the future of quality assurance in health systems. Since quality projects fail to transform a bureaucratic organizational culture, which in turn undermines their sustainability, alternative strategies must be sought to promote quality culture and relevant organizational change. Decentralization and new public management show their limitations. We suggest a balance between three ideal-types described by Freidson: The bureaucratic ideal-type, challenged by local coping strategies, the market ideal-type, which is fashionable today and promote initiative, and the professional ideal-type, emerging and promising, yet still embryonic in Africa.