Résumé : La recherche part du constat de "l'érosion de la protection globale dont se trouvait dotée la communauté des travailleurs …" Causes de cette érosion, l'activité législative, mais aussi l'évolution de la jurisprudence ; en effet, "aucun texte n'est si clair que son application ne doive s'accompagner du choix de son sens et de sa portée et qu'il ne dispense le lecteur – et donc le juge, interprète privilégié – d'une reformulation de la règle.".

Comment le juge reformule-t-il la règle, quels sont les moyens dont il dispose ou use pour ce faire, quelle est son implication dans cette érosion ? La recherche, soutenue par une réflexion à la fois juridique, politique et philosophique, analyse des décisions judiciaires, leurs commentaires, et des articles de doctrine, qui ont en commun de paraître consacrer cette érosion.

La première partie de ce travail porte sur l'éradication des inégalités entre travailleurs masculins et féminins par le recours à des discriminations positives, par le biais de ce que Dworkin appellerait un "hard case" : un arrêt de la Cour de Justice des Communautés Européennes du 17 octobre 1995, statuant quant à la conformité de la législation d'un état membre à la directive européenne du 9 février 1976 relative à la mise en œuvre de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail. La haute juridiction y fait bifurquer l'idée en deux concepts, l'égalité des chances et l'égalité des résultats, les définit puis les oppose ; ensuite, elle disqualifie la législation de l'état membre, au motif que celle-ci favorise l'égalité de résultats et non la seule égalité des chances. L'analyse décrit cette construction par la Cour d'un savoir juridique de l'égalité ; elle s'inquiète de la conformité de ce savoir au droit communautaire, du bien-fondé d'une bifurcation entre chances et résultats, et de ses effets sur les inégalités entre hommes et femmes..

Sa deuxième partie porte sur la construction du savoir du droit social, en général. Elle en exhibe certains ingrédients et évalue leurs agencements : la manière dont sont traités les faits, les diverses sortes d'intérêts à l'origine de la production de jurisprudence, la maîtrise du langage et l'art de convoquer le droit, et le pouvoir du praticien d'affecter et d'être affecté par le droit et son milieu. Elle pointe deux grandes bifurcations : celle entre dire le droit et juger quant au fond ; et celle entre "juridiquement correct" et "juste". Elle observe à quelles conditions la jurisprudence devient source effective de droit et se divise en courants majoritaire et minoritaire. Elle distingue deux moments dans la pratique juridique, et deux modes d'existence du jugement. La construction de la motivation, ajustée à tel litige particulier, constitue le moment créatif, qui aboutit au jugement vivant, à l'usage des protagonistes. Ce même jugement, s'il est diffusé dans les médias juridiques, connaît une autre forme d'existence, au sein du corpus jurisprudentiel commun ; si les juristes sont libres de s'y référer ou de l'ignorer, il nourrira un nouveau moment créatif, à titre d'exemple de savoir-faire ; le moment dogmatique, lui, est celui où le système judiciaire se saisit des énoncés de tel jugement vivant pour les imposer, en tant que savoir a priori, lieux de passage obligés, mots d'ordre, limitant ainsi le champ de possibles ouvert à l'activité créatrice.