Résumé : Il s’agit de montrer que les technosciences, rencontrant l’humanitude comme leur condition de possibilité et leur moteur propulsif, risquent d’actualiser une potentialité aporétique associée à une enclave organique perméable et à une maintenance identitaire inscrite dans le devenir - associée à une intériorité se dépliant en extériorité et à un monisme substantiel s’exprimant dans la dualité (en soi, comme soi et hors de soi). Pour ce faire, nous observons et confrontons : les techniques (des PMA aux manipulations d’embryons, des diagnostics génétiques aux thérapies géniques, du clonage à la transgenèse) à l’individu, l’individu à ses latitudes (en ce compris par la voie d’une «consultation» des personnes souffrantes, des scientifiques et de la population dite «générale») et celles-ci à l’humanitude.

Par ailleurs, nous définissons l’individu d’une indéfinition : où l’homme est point de convergence (entre divers états, plans et déterminants) et force d’émergence (hors ses donnés) - équilibre en construction incessante et incessible. Où sa spécificité tient à l’occupation corporelle et pensée d’un espace et d’un temps : équilibre en soutenance entre stase et métabolisme, non-soi et soi, subordinations et libérations, centralisations identitaires et extériorisations identifiantes. Par suite, toute intervention pesant en déséquilibre sur ces articulations devrait être évitée – en principe. En principe car, du fait de la multiplicité et de la diversité des intervenants, du fait même de leur liberté et des incertitudes plurielles, il y aura toujours pression ou déséquilibre. Néanmoins, il importe de mesurer l’acte aux conditions de la liberté et de l’humanité : conscience, autonomie, libre disposition de soi, sensibilité, émotivité, souci, malléabilité principielle (contre une assignation à demeure spécielle ou existentielle) et réappropriation essentielle (contre un déterminisme global – une appropriation par tiers). Et il convient de préserver le lien du corps et de l’esprit : où l’esprit transcende le corps qui le forme et l’informe – selon une mise à distance au sein d’une unité (et d’une unicité).

Or, nous constatons que l’humanitude, prise en charge par les techniques qu’elle produit, édifie un domaine existentiel caractérisé par une biographie de l’arrachement ou du désinvestissement. Et que l’homme, être de l’entre-deux défini par la négation de tout Etat advenu, produit un processus technique propre à l’extraire de cet «entre-deux». Déjà, l’individu libère ses tendances dispersives et ses tendances confusionnelles : mise à distance de l’entité corporelle (en sa force référentielle ou définitoire), identité décisionnelle et puissance volitive plus dispersive que centralisatrice. Où donc néoténie, imparfaite assignation, distanciation et in-essentialité ouvrent à la liberté tout en autorisant l’incorporation du non-soi, l’opérativité de la volonté et l’évanescence des états de l’organisme et de la psyché (de la personnalité comme tout identitaire). Cependant, si les techniques font exploser ces équilibres, reste la dissipation : où le «soi serait amené à se reconnaître comme pure et simple concept construit. Dans ce contexte, tout s’abandonne aux modifications. Et l’homme de jouer avec le donné et le donné en lui - donné qui est lui mais se décompose dorénavant en fonds «sacral» de puissances, en substrats géniques, mnésiques et morphologiques modelables et en constituants interchangeables. Semblable attitude recouvre une fuite hors de la condition humaine : tantôt vers «autre chose», tantôt vers un alignement démissionnaire sur un Décideur Transcendant. Et pour la première fois aussi globalement et intensément, instinct et volonté de survivre se soumettent à leur propre négation : pour qu’il subsiste «quelque chose plutôt que rien» dans le futur lointain, l’espèce conspire à sa propre fin. Pour la première fois (première fois aussi proche d’une réalisation), l’individu aspire à une dispersion de conscience, à une évanescence personnale et à une fin de l’Histoire sous couvert d’une histoire sans fin et d’un devenir incessant – gardant du devenir la seule processualité mécanique. Le danger est alors considérable car l’homme sort de l’animalité dans le champ où s’entrechoquent libre arbitre et déterminisme, références identitaires et décentrages, appartenances et abstractions. Car cet animal-là exprime sa spécificité à l’extérieur de l’enceinte biologique mais à partir d’une densité individuale : dans l’élaboration sociale et culturelle. Dès lors, quand l’existence précède l’essence et face aux possibles technoscientifiques, il importe de préserver l’homme d’une existenciation illusoire et d’une personnalisation évanescente. Et de pondérer la totalité individuale de ses dimensions temporelles : où l’individu est un être perpétuellement devenant ; où l’existence crée, investit et signifie une durée ; où l’identité est continuité d’unicité en devenir ; où l’humanité est construction d’Histoire et invention de sens. Cela oblige l’individu à se soutenir eu égard à des doubles nœuds référentiels : anthropique et autobiographique, culturel et familial, spirituel ou décisionnel et charnel ou factuel, symbolique et opératoire, autoréférentiel et relationnel. Mais aussi, en matière éthique, entre principe et casuistique, idéal et exception, collectif et individuel.

Doubles nœuds contestés par les techniques. Aussi, face à l’opérativité croissante de celles-ci, nous nous interrogeons sur ce qu’il pourrait advenir de la condition humaine et des conditions de possibilité de l’homme - considéré ici comme individu (spécimen défini en ses spécificités) au milieu du monde, conscience (sensible et émotionnelle) en situation d’interrelation, et subjectivité (volitive) face à ses semblables.