Résumé : La maladie d’Alzheimer (MA) est caractérisée par deux lésions neuropathologiques: les plaques séniles (composées essentiellement du peptide amyloïde Ab) et les dégénérescences neurofibrillaires (DNF, composées de formes hyperphosphorylées de protéines tau). Les mécanismes de formation des DNF sont encore mal compris et notre travail expérimental a eu pour objectifs d’étudier certaines hypothèses de formation des DNF.

1° Une hypothèse étiopathogénique de la MA est la “cascade amyloïde”, selon laquelle le peptide amyloïde Ab exercerait un effet toxique entraînant la phosphorylation de tau et la formation de DNF. Certaines formes familiales de MA sont dues à des mutations du gène du précurseur du peptide amyloïde (APP) ou des présénilines et nous avons voulu déterminer si la surexpression de ces protéines pouvait entraîner la formation de DNF. Nous avons d’abord étudié une lignée murine double transgénique surexprimant l’isoforme 0N3R de protéine tau humaine “sauvage” et une forme mutée de préseniline 1 (M146L). Nous y avons démontré une co-expression neuronale des deux protéines et une augmentation de la phosphorylation de tau mais nous n’y avons pas observé de formation de DNF, chez des animaux examinés jusqu’à 17 mois. Nous avons ensuite étudié une lignée murine triple transgénique surexprimant l’isoforme 0N3R de protéine tau “sauvage”, une forme mutée de préseniline 1 (M146L) et une forme mutée de l’APP 751 (mutations Swedish K670N, M671L et London V717I). Ces animaux ont développé précocement (2.5 mois) des dépôts extracellulaires de peptide Ab. Nous y avons observé une augmentation de la phosphorylation de tau dans les prolongements neuronaux en contact avec les dépôts amyloïdes et des anomalies de l’organisation du cytosquelette, mais pas de DNF, chez des animaux examinés jusqu’à 18 mois.

2° Certaines mutations du gène de tau sont responsables de formes familiales de démence frontotemporales dans lesquelles se développent des DNF. Ces mutations favoriseraient l’agrégation de tau où entraîneraient un déséquilibre de l’expression relative des isoformes de tau. Un tel déséquilibre pourrait également être induit dans les formes sporadiques de MA, en l’absence de mutations de tau. Afin d’investiguer cette hypothèse, nous avons étudié le profil d’expression des ARNm de tau et des isoformes de protéines tau dans plusieurs régions cérébrales de sujets contrôles ou atteints de MA. Un même profil d’expression a été observé dans les deux groupes. Une augmentation relative de l’expression de l’isoforme 0N3R de tau dans le cortex temporal pourrait être liée à la sensibilité de cette région au développement de DNF. Nous avons également étudié des lignées stables de cellules CHO exprimant des formes mutées (P301L, R406W) et non-mutées de protéines tau. Nous n’avons cependant pas observé d’augmentation de l’agrégation de tau dans les lignées exprimant les formes mutées de tau.

Nos résultats indiquent que la simple surexpression de formes mutées de l’APP et des présénilines, même en présence d’une protéine tau humaine, ne suffit pas à entraîner la formation de DNF. En outre, l’absence de différence dans le profil d’expression cérébrale des isoformes de tau entre sujets contrôles et atteints de MA suggère que les modifications post-traductionnelles de cette protéine jouent un rôle plus important dans la genèse des DNF.