Résumé : Le thème principal de notre travail consistait en la mise en exergue de l'efficience de la mise en œuvre de techniques hybrides associant l’électrochimie à l’élément biologique (biocapteur) ou l’électrochimie aux performances de la spectrométrie de masse (couplage EC-MS). Les informations fournies, jointes aux résultats des mesures en voltampérométrie sur électrodes solides, permettent une bonne compréhension mécanistique quant au devenir oxydatif de substances médicamenteuses.

Notre champ d'investigation s'est plus spécifiquement focalisé sur deux familles de molécules psychotropes (les phénothiazines, et une dibenzoazépine). Celles-ci connaissent un usage thérapeutique intensif et un regain d’intérêt pour des applications nouvelles, mais leur utilisation optimale souffre de l’existence d'effets secondaires physiopathologiques importants et dont l’étiologie est encore mal connue.

En premier lieu, les résultats de la voltampérométrie cyclique et les différentes modulations en ligne d'une cellule électrochimique couplée à la détection par spectrométrie de masse, nous ont permis de mettre en évidence des différences essentielles dans le devenir des phénothiazines quant aux produits d'oxydations générés. Plus précisément, un comportement clairement distinct entre les phénothiazines garnies de deux (2C) ou trois carbones (3C) entre les deux azotes au niveau de leur chaîne latérale a pu être mis en évidence. Les phénothiazines 3C s'oxydent de manière classique en leur sulfoxyde correspondant. Par contre, les phenothiazines 2C, conjointement à la formation de leur sulfoxyde, souffrent dans des conditions énergiques d’oxydation (persulfate, potentiel élevé) d'une rupture de la chaîne latérale et libèrent la phénothiazine base aisément oxydable et donc subissant elle-même une oxydation. Au vu des structures moléculaires en trois dimensions, nous émettons l’hypothèse que volume trop important de la chaîne latérale des phénothiazines 2C empêcherait le déploiement aisé des structures aromatiques en un radical cation coplanaire lors du phénomène d'oxydation. Les tensions intrastructurelles apparues conduiraient au bris de la chaîne latérale. Différents modes d'oxydation (chimique, électrochimique, enzymatique) ont été utilisés et laissent chacun apparaître la dépendance directe entre la puissance de l'agent oxydant appliqué et les produits d'oxydation obtenus. Chaque technique de détection, de manière individuelle, a bien confirmé la dualité entre les deux groupes de molécules. La mise en commun des divers résultats nous a permis l'identification irrévocable des espèces intermédiaires instables et des composés finaux. Par corollaire, nous avons pu postuler un schéma général d'oxydation pour les dérivés phénothiaziniques. Il nous paraît intéressant de transposer nos résultats aux biotransformations des phénothiazines car les produits identifiés ne possèdent pas l'activité pharmacologique du composé parent mais présentent un profil toxicologique bien répertorié dans la littérature. Nos résultats suggèrent d’approfondir les études de biotransformation afin de déterminer si ‘l’éclatement’ oxydatif des phénothiazines 2C est également observé in vivo. Une relation cause/effet de ces métabolites pourrait ainsi être établie.

En deuxième point, au travers de l'association CE/SM ou CE/CL/SM, nous avons étudié l’électroxydation de la clozapine. La génération et l'identification des principaux métabolites de phases I et II, illustre un mimétisme certain avec le CYP450, et nous a permis de confirmer de nombreuses données de la littérature quant à l'oxydation in vivo et in vitro de la clozapine. L'oxydation électrochimique ne génère cependant pas l'ensemble des réactions de métabolisation prises en charge par le système CYP450. Lors de la combinaison CE/SM, par l'absence de séparation chromatographique dans cette configuration, le spectre de masse présente un pic correspondant à un intermédiaire à demi-vie courte, difficilement et rarement mis en évidence: l'ion nitrénium. Cette espèce hautement réactive envers les fonctions thiols des petites molécules et des protéines, se trouve très régulièrement tenue pour responsable majeur de la toxicité avérée de la clozapine.

L'apparition plus abondante de dérivés déméthylés démontre l'influence du potentiel appliqué à l'électrode de travail lors de l'oxydation électrochimique. En effet, les processus de déméthylation nécessitent des potentiels élevés pour être observés. En présence de glutathion, aux différents pics antérieurement identifiés, des pics supplémentaires relatifs à la formation d'adduits de GSH sur la CLZ apparaissent. Les courbes voltampérométriques réalisées sur la clozapine suggèrent la distinctement la formation de l'ion nitrénium et d'une nouvelle espèce aisément électroréduite, probablement une structure quinone imine. L'addition de GSH provoque la disparition des pics de réduction de la CLZ. Ces comportements en VC corroborent les interprétations issues des mesures par couplage EC/CL/SM.

La dernière partie de notre travail a consisté en la construction d'un biocapteur à pâte de carbone solide avec inclusion au sein de cette matrice de peroxydase de raifort. Basé sur la capacité reconnue de l'HRP à reproduire in vitro des produits d'oxydation similaires à la métabolisation in vivo, nous avons exploité un tel biocapteur pour l'analyse de la clozapine et de composés thiols. Une compréhension fine du mécanisme opérationnel intrinsèque du biocapteur a pu être suggérée. La génération à la surface de l'électrode de l'ion nitrénium par oxydation enzymatique de la clozapine par l'HRP, suivie de sa réduction immédiate fournit un courant ampérométrique substantiel. Sous des conditions de pH optimales, ce courant de réduction autorise la détermination quantitative de la clozapine dans un domaine de linéarité compris entre 1 x 10-5 M et 1 x 10-6 M. L'addition de composés thiols dans le milieu occasionne une chute de courant par action de ceux-ci sur la structure radical cation ou nitrénium par addition nucléophile. La disparition de l'ion nitrénium et la formation d'un adduit GSH-CLZ inhibent tout processus de réduction à l'électrode du biocapteur. Cette diminution de courant proportionnelle aux concentrations en thiols introduits, permet la détermination quantitative de dérivés thiols. Les courbes de calibration exprimées en pourcentage d'inhibition conduisent facilement à l'évaluation de la constante d'inhibition (Ki) et de CI50. L'étude de la réponse ampérométrique de la clozapine à l'EPC/HRP en l'absence ou présence d'un dérivé thiol envisagé permet la détermination de Km et de caractériser le type d'inhibition qui entre en jeu. De tels paramètres cinétiques nous ont habilités à classer les thiols considérés en fonction de leur puissance réactionnelle envers les substances oxydées de la clozapine.

Au terme de ce travail, nous espérons avoir illustré, par l’étude de quelques molécules modèles, l’intérêt de la mise en œuvre des techniques électrochimiques couplées à l’élément biologique ou à la spectrométrie de masse. Des améliorations au niveau de la cellule électrochimique sont envisageables par l’emploi d’électrodes modifiées, elles laissent entrevoir la possibilité de mimer totalement le système CYP450.

Les résultats fournis par ces techniques hybrides et par voltampérométrie cyclique sont complémentaires, ils procurent un éventail d'informations d'une utilité estimable pour une application dans des études prédictives précoces de candidats médicament.