Résumé : Les biopuces à ADN permettent d’étudier à une échelle génomique une très grande variété de questions sur la physiologie et la différenciation cellulaires. Elles ont ainsi contribué de manière considérable aux progrès récents de nombreux domaines de la biologie et occuperont bientôt une place de choix dans le secteur du diagnostic médical. C’est la levure Saccharomyces cerevisiae qui a servi de modèle pour le développement de la première biopuce génomique. L’application de cette approche à la levure a permis d’explorer sous un angle nouveau l’étude de ses différents états de différenciation, de son cycle cellulaire, et de sa capacité d’adaptation à diverses conditions nutritionnelles ou à des conditions environnementales induisant un stress cellulaire. Plusieurs études ont plus particulièrement examiné la réponse des cellules de levure à une carence en azote ou en acides aminés. Cependant, une étude systématique de la réponse transcriptionnelle de la cellule aux différentes sources d’azote n’a jamais été entreprise en croissance confinée à l'état de régime. S. cerevisiae est capable d’utiliser plus d’une vingtaine de substances en tant que sources uniques d’azote pour la croissance. On distingue parmi les sources d’azote celles qui permettent une croissance optimale, appelées « bonnes » sources d’azote, des autres, appelées « mauvaises » sources d’azote. La levure possède plusieurs systèmes de régulation lui permettant de s'adapter à la condition azotée. Au niveau transcriptionnel, on recense trois régulations générales – la NCR (répression catabolique azotée), le GAAC (le contrôle général de la biosynthèse des acides aminés) et le système SPS (Ssy1-Ptr3-Ssy5) – et une multitude de régulations plus spécifiques.

En utilisant la technique des puces à ADN, nous avons généré une matrice d'expression de l'ensemble des gènes de la levure en croissance confinée à l'état de régime dans un milieu de culture contenant une parmi 21 sources d'azote différentes. Nous avons pu ainsi recenser systématiquement 506 gènes soumis à une régulation transcriptionnelle dépendante de l'azote.

En nous basant sur ces résultats, nous avons pu décrire l'ensemble des régulations transcriptionnelles engagées dans l'adaptation à la source d'azote fournie dans le milieu de culture. Parallèlement, nous avons défini deux grands groupes de sources d'azote en fonction du transcriptome de S. cerevisiae. Le premier groupe rassemble les composés qui exercent une répression catabolique azotée forte et dont la liste a été complétée. Fait nouveau, nous montrons que ces mêmes composés enclenchent aussi l'activation de la réponse aux protéines mal repliées (UPR). Au contraire, lorsque la source d'azote appartient au second groupe que nous avons défini, non seulement la croissance des levures est plus lente, la NCR levée et la réponse aux protéines mal repliées réprimée, mais nous montrons de façon inattendue que le contrôle général de la biosynthèse des acides aminés est activé. Plusieurs autres régulations qui ne sont pas impliquées dans le métabolisme azoté présentent un comportement différent en fonction de la source d'azote fournie. C'est le cas notamment des gènes dont l’expression est régulée selon l’apport en zinc et qui sont moins exprimés sur le milieu urée. De même, les gènes impliqués dans les résistances multiples aux drogues sont activés par le tryptophane.

En confrontant nos résultats à ceux obtenus dans le cadre de travaux indépendants, nous avons proposé plus d'une cinquantaine de nouveaux gènes cibles de la NCR. Beaucoup d'entre eux n'ont jamais été caractérisés expérimentalement. En utilisant des techniques avancées d'analyse de séquences primaires de protéines, nous avons pu proposer une fonction pour plusieurs de ces gènes. Ces analyses bioinformatiques et la réalisation d’expériences complémentaires à l’aide de biopuces à ADN nous ont permis de proposer que l'un d'entre eux code pour une protéine impliquée dans la déstabilisation d'ARN messagers lors de la carence azotée. Nous avons aussi identifié plusieurs nouveaux gènes appartenant à des régulons spécifiquement activés en réponse à un nombre restreint de sources d'azote. Il est probable que ces gènes soient impliqués dans le catabolisme des sources d'azote sur lesquelles ils sont activés.